Marseille, un soir de mai...
Antoine, la cinquantaine flamboyante, BHL style, est féru de littérature, d'opéra et de séries TV haut de gamme. Adeline, 35 ans, aime les sandales compensées et le vernis à ongles jaunes.
Antoine a séduit Adeline après trois semaines d'approche, toute en French Touch, très classe. S'en sont suivis quelques jours de frénésie sexuelle bien compréhensibles. Mais ce soir-là, après avoir apprécié le lyrisme de Don Juan en DVD, l'atmosphère se charge un peu de nuages.
« Bon
allez, on va un peu changer de Don Juan, hein Toinou! On va sortir un
peu, ailleurs. »
Elle
avait raison dans un sens, les murs du salon semblaient s'être
rapprochés. Le plafond lui-même était sur le point de leur tomber
sur la tête.
« Don
Juan, tu parles, bonjour le pansement! Tu ne veux jamais sortir,
toujours enfermé avec tes bouquins et tes DVDs! En plus, t'as même
pas un vrai film là-dedans! Jean-Louis Godard, non mais vraiment, y
a que toi pour regarder des trucs pareils! Viens, ma copine Natacha
fête son anniv à « la Casca. » On va y aller, moi je
craque! »
Antoine
pensait confusément qu'il n'avait aucune envie d'aller à cet
anniversaire et surtout pas de prendre sa voiture pour aller en
ville. Et puis, elle exagérait, avec l'âge, ses goûts étaient
beaucoup plus mainstream.
Il songeait avec envie à la saison sept de Desperate
Housewives
qu'il avait téléchargée de façon totalement illégale et qui
dormait dans son hard
disk
préféré.
Mais,
il n'était pas question de s'opposer à Adeline, il fallut donc
céder. Il hésita un instant, faillit lui dire dire d'y aller toute
seule puis se ressaisit, à l'idée qu'elle se fasse draguer de façon
éhontée par un jeune con aux dents longues et à l'haleine fraiche.
C'était
samedi soir donc, Antoine sortit sa voiture du garage. En Marseillais
averti, il n'envisagea pas un seul instant d'utiliser les transports
en commun, qui desservaient pourtant le centre-ville jusqu'à une
heure du matin. Personne de sa connaissance ne semblait encore avoir
osé les emprunter dans ces circonstances.
La
jeune Sonia, qui ne brillait guère par son originalité, avait
choisi de fêter son anniversaire au restaurant "La Casca",
dont les spécialités de tapas faisaient les délices des
trentenaires boboisants. Ce lieu était idéalement situé à une
centaine de mètres de la place Jean Jaurès, plus connue sous le nom
de la Plaine, où il gara sa voiture non sans mal. Il négligea le
parking du Cours Julien, horriblement cher et recelant des spécimens
de cafards d'une taille peu commune en Europe. Il renonça également
à celui situé sous la Plaine, désertés par les êtres humains et
qui réveillait en lui des cauchemars claustrophobiques. De très
aimables dealers les suivirent de leur yeux rouges, tandis qu'ils
enfilaient la Rue Ferrari en se faufilant entre les crottes de chien
et les poubelles débordantes. Le trottoir était trop étroit pour
leur permettre de se tenir côte à côte et Antoine se vit contraint
de trottiner derrière Adeline qui marchait à grands pas en pérorant
sur le célibat persistant de Sonia à plus de 35 ans.
"Pas
étonnant, d'ailleurs, avec cet espèce de vieux toujours pendu à
ses basques..."
Antoine
sursauta
"Quel
vieux?"
"Ce
vieux, là, Bigorneau, quel con ce mec! Lâchera jamais sa femme. L'a
perdu sa baraque à Veleaux pour le premier divorce, lâchera jamais
celle de Ventabren pour le deuxième!"
Antoine
tint sa langue, Adeline poursuivit.
"Et
puis quel obsédé! Il passe son temps à la coincer dans son bureau.
Il arrive pour un oui pour un non, avec des dossiers bidons pleins
les bras, elle a juste le temps de tirer le loquet et houp! sur la
moquette. Sur le bureau, elle veut pas hein, elle a peur de flinguer
l'ordi, mais lui tu parles çà l'excite, l'autre. C'est DSK à la
sortie de la douche ce mec!.Vraiment ces types mariés, c'est rien
que des lâches et des obsédés. Moi, ces gens qui pensent qu'au
cul, çà me sidère."
Antoine
sentit une sourde migraine lui vriller les tempes, il regrettait
amèrement sa soirée disque
dur mais il était trop tard, la porte de "la Casca" leur
faisait face. La mise élégante du physionomiste contrastait avec
les trottoirs poisseux et les relents de graillon, échappés d'une
bouche invisible.
"Vous
avez une réservation? " jeta-t-il dédaigneusement.
Antoine
faillit lui répondre qu'on n'était ni à New York, ni à Paris, que
sa gargotte délivrait des tapas douteux et du vin de cubi pour une
addition moyenne de trente cinq euros . Il songea vaguement à
appeler l'hygiène le lendemain puis se résolut à boire le calice
jusqu'à la lie. Ils franchirent donc le rideau rouge et
s'imprégnèrent de l'atmosphère travaillée sur le mode empathique.
Fauteuils clubs aux accoudoirs de cuir usé, tables bancales, kilims,
chandeliers et bougies à profusion les attendaient. La dernière
pensée consciente d'Antoine fut qu'il se trouvait dans l'antichambre
de l'enfer...
Merci a André de m'avoir prêté ses personnages.
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