vendredi, mai 04, 2012

Scène de la vie conjugale (ou pas)




Marseille, un soir de mai...
Antoine, la cinquantaine flamboyante, BHL style, est féru de littérature, d'opéra et de séries TV haut de gamme. Adeline, 35 ans, aime les sandales compensées et le vernis à ongles jaunes.
Antoine a séduit Adeline après trois semaines d'approche, toute en French Touch, très classe. S'en sont suivis quelques jours de frénésie sexuelle bien compréhensibles. Mais ce soir-là, après avoir apprécié le lyrisme de Don Juan en DVD, l'atmosphère se charge un peu de nuages.


« Bon allez, on va un peu changer de Don Juan, hein Toinou! On va sortir un peu, ailleurs. »

Elle avait raison dans un sens, les murs du salon semblaient s'être rapprochés. Le plafond lui-même était sur le point de leur tomber sur la tête.

« Don Juan, tu parles, bonjour le pansement! Tu ne veux jamais sortir, toujours enfermé avec tes bouquins et tes DVDs! En plus, t'as même pas un vrai film là-dedans! Jean-Louis Godard, non mais vraiment, y a que toi pour regarder des trucs pareils! Viens, ma copine Natacha fête son anniv à « la Casca. » On va y aller, moi je craque! »

Antoine pensait confusément qu'il n'avait aucune envie d'aller à cet anniversaire et surtout pas de prendre sa voiture pour aller en ville. Et puis, elle exagérait, avec l'âge, ses goûts étaient beaucoup plus mainstream. Il songeait avec envie à la saison sept de Desperate Housewives qu'il avait téléchargée de façon totalement illégale et qui dormait dans son hard disk préféré.

Mais, il n'était pas question de s'opposer à Adeline, il fallut donc céder. Il hésita un instant, faillit lui dire dire d'y aller toute seule puis se ressaisit, à l'idée qu'elle se fasse draguer de façon éhontée par un jeune con aux dents longues et à l'haleine fraiche.

C'était samedi soir donc, Antoine sortit sa voiture du garage. En Marseillais averti, il n'envisagea pas un seul instant d'utiliser les transports en commun, qui desservaient pourtant le centre-ville jusqu'à une heure du matin. Personne de sa connaissance ne semblait encore avoir osé les emprunter dans ces circonstances.

La jeune Sonia, qui ne brillait guère par son originalité, avait choisi de fêter son anniversaire au restaurant "La  Casca", dont les spécialités de tapas faisaient les délices des trentenaires boboisants. Ce lieu était idéalement situé à une centaine de mètres de la place Jean Jaurès, plus connue sous le nom de la Plaine, où il gara sa voiture non sans mal. Il négligea le parking du Cours Julien, horriblement cher et recelant des spécimens de cafards d'une taille peu commune en Europe. Il renonça également à celui situé sous la Plaine, désertés par les êtres humains et qui réveillait en lui des cauchemars claustrophobiques. De très aimables dealers les suivirent de leur yeux rouges, tandis qu'ils enfilaient la Rue Ferrari en se faufilant entre les crottes de chien et les poubelles débordantes. Le trottoir était trop étroit pour leur permettre de se tenir côte à côte et Antoine se vit contraint de trottiner derrière Adeline qui marchait à grands pas en pérorant sur le célibat persistant de Sonia à plus de 35 ans.

"Pas étonnant, d'ailleurs, avec cet espèce de vieux toujours pendu à ses basques..."

Antoine sursauta

"Quel vieux?"

"Ce vieux, là, Bigorneau, quel con ce mec! Lâchera jamais sa femme. L'a perdu sa baraque à Veleaux pour le premier divorce, lâchera jamais celle de Ventabren pour le deuxième!"

Antoine tint sa langue, Adeline poursuivit.

"Et puis quel obsédé! Il passe son temps à la coincer dans son bureau. Il arrive pour un oui pour un non, avec des dossiers bidons pleins les bras, elle a juste le temps de tirer le loquet et houp! sur la moquette. Sur le bureau, elle veut pas hein, elle a peur de flinguer l'ordi, mais lui tu parles çà l'excite, l'autre. C'est DSK à la sortie de la douche ce mec!.Vraiment ces types mariés, c'est rien que des lâches et des obsédés. Moi, ces gens qui pensent qu'au cul, çà me sidère."

Antoine sentit une sourde migraine lui vriller les tempes, il regrettait amèrement sa soirée disque dur mais il était trop tard, la porte de "la Casca" leur faisait face. La mise élégante du physionomiste contrastait avec les trottoirs poisseux et les relents de graillon, échappés d'une bouche invisible.

"Vous avez une réservation? " jeta-t-il dédaigneusement.

Antoine faillit lui répondre qu'on n'était ni à New York, ni à Paris, que sa gargotte délivrait des tapas douteux et du vin de cubi pour une addition moyenne de trente cinq euros . Il songea vaguement à appeler l'hygiène le lendemain puis se résolut à boire le calice jusqu'à la lie. Ils franchirent donc le rideau rouge et s'imprégnèrent de l'atmosphère travaillée sur le mode empathique. Fauteuils clubs aux accoudoirs de cuir usé, tables bancales, kilims, chandeliers et bougies à profusion les attendaient. La dernière pensée consciente d'Antoine fut qu'il se trouvait dans l'antichambre de l'enfer...



Merci a André de m'avoir prêté ses personnages.






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