Une
gare du nord de l'Angleterre, un soir d'été.
Du
monde, beaucoup de monde, le quai est long. A la sortie, il faut
remettre son billet dans la machine.
Un
garçon brun m'a hélée, pas très grand-pantalon beige, veste
indistincte qu'il a du mal à fermer. .
Je
passe directement sans le regarder dans les yeux. J'emprunte un
tunnel pour sortir de la gare. Briques rouges, carreaux blancs.
Il
est tard, bien plus tard que vingt heures.
Subway
vide, flickering light, lumière
tremblotante du néon. Ne suis pas seule, je le sens, une étrange
mélodie émerge dans ma tête.
Midnight
in the subway
She's
on her way home
She
tries hard not to run
But
she feels she's not alone.
Si
tu le fais, n'aies pas peur.
Echoes
of footsteps follow close behind
Des
pas font écho, juste derrière moi.
But
she dares not turn around.
Je
n'ose pas me retourner. Pourtant, je sens un souffle dans mon cou.
Puis un murmure : "Tu me reconnais?"
Je
réponds "Non." et je sais que je mens. Si je me
retournais, je sais très bien ce que je verrai. Des yeux noirs en
amande, un sourire et des dents blanches.
Je
ferme les yeux et je pars en courant droit devant moi. Je sors de la
gare et je me rue au hasard. Je croise des filles-miniskirts
paillettées, stilettos , tee shirts hen's night party -des
hommes en cravates, des familles entières du grand-père à la
petite fille, également tatoués, édentés, abreuvés, attablés
aux beer gardens des pubs.
Je
m'engouffre dans une cour pavée. Sous le porche, des travestis en
boa, des garçons- shorts en jeans moulants, doc marten's , des
chicks sorties tout droit de "the L Word"-bracelet
de force et débardeur
Calvin Klein. Tout le monde fume, tout le monde boit : des pints,
des shots, des bottled beer, des premix teintés
de bleu et de rose. On commande les drinks par trois ou
quatre pour éviter la queue monstrueuse au comptoir. Au dessus de
ma tête des guirlandes d'ampoules colorées, accrochées aux balcons
de ce qui a du être une rue commerçante du Leeds au début du
dix-neuvième . Des gens s'y trémoussent et y trébuchent, de la
musique électro s'échappe des bars aux noms très vingt et unième
: Fibre, the Loft, the Pink Pounder.
Les basses m'envahissent, me prennent aux tripes et me retournent, le visage écrasé au ciel.
Universe
is full of stars
Nothing out there looks the same
You're the one that I've been waiting for
I don't even know your name
Nothing out there looks the same
You're the one that I've been waiting for
I don't even know your name
Des
bulles, des confettis et des ballons. La nuit au dessus, les étoiles,
c'est l'été, peut-être même le solstice, il fait presque chaud.
Je ne sais pas où me tenir où plutôt je tiens toute seule,
écrasée, compressée, bousculée, les pieds mouillés par les
verres qu'on renverse. A terre des flyers réduits
à l'état de bouillie sur les pavés annoncent : "Drinks
£1 all night long".
Je
me recule, encore pour me retrouver sous le porche de briques rouges.
Le mur porte le nom du lieu où je me trouve « Queen's
Court ».
Le
souffle à nouveau sur ma nuque, je me retourne et il est là sans
même que je l'ai vu ou entendu venir. Il s'est déplacé à la
vitesse de la lumière comme un vampire de Mystic Falls.
Il approche son visage du mien, je croise son regard, l'un de ses
iris plus foncé que l'autre.
Je
m'entends murmurer "Un oeil pour ton père, un oeil pour ta
mère."
"La
mémoire te revient, on dirait." c'est ce qu'il me répond.
"Tu
m'as déjà dit çà?"
"
Non, pas à toi."
"Alors,
à qui?
"A
elle, je lui ai dit à Elle, la fille de l'aéroport de Marrakech.
Elle avait pris l'avion, elle était venue me rejoindre là-bas. Elle
ne me connaissait pas, elle avait juste fait l'amour avec moi sur
internet."
Les
basses des musiques électroniques se sont calmées. Il est une heure
du matin, c'est l'heure du chill out et
de la musique lounge.
La foule de Queen's Court se
disperse peu à peu.
Son
regard se porte au delà du porche, vers les rues pavées de la ville
qui descendent vers la rivière.
Je
l'entends souffler.
"Elle
est venue, je ne l'aurais pas cru. Qu'est ce que tu voulais que je
fasse? J'habitais chez mes parents, on pouvait pas aller à l'hôtel.
Alors, je l'ai cachée dans un appartement du Guéliz.."
"Et
tu retournais la voir en douce dans la journée, à la
pause-déjeuner.. et puis aussi le soir...tu te tirais par le porte
de derrière."
"Non
par la terrasse."
Par
la terrasse, oui. Tu ne te changeais même pas, tu as porté le même
pull à rayures et le même jeans pendant trois jours."
"
La mémoire te revient donc. A ton âge, on n'est pas amnésique?"
"Et
au tien, petit con, on est quoi? Quel âge as-tu donc maintenant?"
"Quatre
ans de plus, trente ans...tu te souviens maintenant?
Nous
marchons désormais dans les rues, vers la rivière Leith.
L'humidité poisse l'atmosphère, il fait froid. Ses pas se font plus
légers, sa présence se dissout par instant à mes côtés.
Oui,
maintenant je me souviens, les trois nuits qu'elle a passées avec
toi, et les quatre jours à t'attendre dans cette chambre du Gueliz.
Elle regardait la télé toute la journée, les clips avec les belly
danseuses de la télé turque, leurs paillettes et leurs perles. Vous
êtes allé danser vous aussi au Comptoir Paris-Marrakech. Il y avait
une chanteuse libanaise, en rouge étincelant, elle chantait aux
tables du restaurant, des airs pleins de habibis et de hayatis. Le
prix des consommations, 80 dirhams, t'avait fait dresser les cheveux
sur la tête. Le lendemain soir, de toutes façons, dans un club
beaucoup plus cheap, où les tabourets zébrés en poils synthétiques
avait remplacé les kilims, on avait refusé de te servir de l'alcool
car c'était le Nouvel An marocain. Elle avait payé son verre,
d'ailleurs, un mojito quasi halal, avec beaucoup de menthe, de sucre
et très peu de rhum. Elle s'était étonnée d'y voir des filles,
très jeunes, très minces dans leurs jeans, presque des lycéennes.
Elle te les avait désignées du doigt et tu avais répondu,
méprisant, que les putes c'était pas ton truc. Vous aviez dansé
sur "Maldon'" des Zouk Machine. Il y avait un autre couple,
des jeunes, des français, elle les a retrouvés dans l'avion le
lendemain, elle ne savait pas qu'elle ne te reverrait plus.
Qu'est
ce que j'en savais qu'elle prendrait tout ça au sérieux? Comment
peut-on débarquer, comme ça dans la vie des gens? Moi, je voulais
pas rester au Maroc. Enfin, pas comme ça, sans boulot, sans rien.
J'ai pensé à un moment l'épouser puisqu'il n'y avait pas d'autre
moyen de s'en aller. Je lui disais "Epouse-moi. Donne-moi une
fille qui te ressemble.". Mais, il y avait l'autre, l'anglaise,
je l'ai connue bien avant. C'est avec elle que je me suis mariée. . C'est là que je suis
maintenant, ici, il pleut tous les jours, j'ai quitté
l'anglaise après lui avoir fait un enfant. Je bois
le samedi soir au pub, je grossis et je regarde la pluie tomber.
Qu'est ce qu'elle est devenue, tu le sais?
Rien,
elle n'est rien devenue. Un jour, j'ai fermé le fichier Word qui
portait ton nom et elle a disparu. C'est ton tour ce soir, tu as
quelque chose à dire avant?
Nous
arrivons au bord du fleuve. Les quais sont éclairés, il flotte un
parfum de vacances et de paix, des étudiants, cheveux longs, chemise
ouverte, jouent de la guitare.
Je
voulais dire que ce n'était pas ma faute.
"Oui,
je sais, c'est la mienne. Désolée pour vous deux." dis-je,
avant de le pousser à l'eau.
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