mardi, mai 08, 2012

Rendez-vous à Queen's Court.






Une gare du nord de l'Angleterre, un soir d'été.
Du monde, beaucoup de monde, le quai est long. A la sortie, il faut remettre son billet dans la machine.

Un garçon brun m'a hélée, pas très grand-pantalon beige, veste indistincte qu'il a du mal à fermer. .

Je passe directement sans le regarder dans les yeux. J'emprunte un tunnel pour sortir de la gare. Briques rouges, carreaux blancs.

Il est tard, bien plus tard que vingt heures.

Subway vide, flickering light, lumière tremblotante du néon. Ne suis pas seule, je le sens, une étrange mélodie émerge dans ma tête.

Midnight in the subway
She's on her way home
She tries hard not to run
But she feels she's not  alone.


Si tu le fais, n'aies pas peur.

Echoes of footsteps follow close behind

Des pas font écho, juste derrière moi.

But she dares not turn around.

Je n'ose pas me retourner. Pourtant, je sens un souffle dans mon cou. Puis un murmure : "Tu me reconnais?"
Je réponds "Non." et je sais que je mens. Si je me retournais, je sais très bien ce que je verrai. Des yeux noirs en amande, un sourire et des dents blanches.

Je ferme les yeux et je pars en courant droit devant moi. Je sors de la gare et je me rue au hasard. Je croise des filles-miniskirts paillettées, stilettos , tee shirts hen's night party -des hommes en cravates, des familles entières du grand-père à la petite fille, également tatoués, édentés, abreuvés, attablés aux beer gardens des pubs.
Je m'engouffre dans une cour pavée. Sous le porche, des travestis en boa, des garçons- shorts en jeans moulants, doc marten's , des chicks sorties tout droit de "the L Word"-bracelet de force et débardeur Calvin Klein. Tout le monde fume, tout le monde boit : des pints, des shots, des bottled beer, des premix teintés de bleu et de rose. On commande les drinks par trois ou quatre pour éviter la queue monstrueuse au comptoir. Au dessus de ma tête des guirlandes d'ampoules colorées, accrochées aux balcons de ce qui a du être une rue commerçante du Leeds au début du dix-neuvième . Des gens s'y trémoussent et y trébuchent, de la musique électro s'échappe des bars aux noms très vingt et unième : Fibre, the Loft, the Pink Pounder.

Les basses m'envahissent, me prennent aux tripes et me retournent, le visage écrasé au ciel.


Universe is full of stars
Nothing out there looks the same
You're the one that I've been waiting for
I don't even know your name

Des bulles, des confettis et des ballons. La nuit au dessus, les étoiles, c'est l'été, peut-être même le solstice, il fait presque chaud. Je ne sais pas où me tenir où plutôt je tiens toute seule, écrasée, compressée, bousculée, les pieds mouillés par les verres qu'on renverse. A terre des flyers réduits à l'état de bouillie sur les pavés annoncent : "Drinks £1 all night long".
Je me recule, encore pour me retrouver sous le porche de briques rouges. Le mur porte le nom du lieu où je me trouve « Queen's Court ».



Le souffle à nouveau sur ma nuque, je me retourne et il est là sans même que je l'ai vu ou entendu venir. Il s'est déplacé à la vitesse de la lumière comme un vampire de Mystic Falls. Il approche son visage du mien, je croise son regard, l'un de ses iris plus foncé que l'autre.

Je m'entends murmurer "Un oeil pour ton père, un oeil pour ta mère."
"La mémoire te revient, on dirait." c'est ce qu'il me répond.

"Tu m'as déjà dit çà?"
" Non, pas à toi."
"Alors, à qui?
"A elle, je lui ai dit à Elle, la fille de l'aéroport de Marrakech. Elle avait pris l'avion, elle était venue me rejoindre là-bas. Elle ne me connaissait pas, elle avait juste fait l'amour avec moi sur internet."

Les basses des musiques électroniques se sont calmées. Il est une heure du matin, c'est l'heure du chill out et de la musique lounge. La foule de Queen's Court se disperse peu à peu.

Son regard se porte au delà du porche, vers les rues pavées de la ville qui descendent vers la rivière.
Je l'entends souffler.

"Elle est venue, je ne l'aurais pas cru. Qu'est ce que tu voulais que je fasse? J'habitais chez mes parents, on pouvait pas aller à l'hôtel. Alors, je l'ai cachée dans un appartement du Guéliz.."
"Et tu retournais la voir en douce dans la journée, à la pause-déjeuner.. et puis aussi le soir...tu te tirais par le porte de derrière."
"Non par la terrasse."


Par la terrasse, oui. Tu ne te changeais même pas, tu as porté le même pull à rayures et le même jeans pendant trois jours."
" La mémoire te revient donc. A ton âge, on n'est pas amnésique?"
"Et au tien, petit con, on est quoi? Quel âge as-tu donc maintenant?"
"Quatre ans de plus, trente ans...tu te souviens maintenant?

Nous marchons désormais dans les rues, vers la rivière Leith. L'humidité poisse l'atmosphère, il fait froid. Ses pas se font plus légers, sa présence se dissout par instant à mes côtés.


Oui, maintenant je me souviens, les trois nuits qu'elle a passées avec toi, et les quatre jours à t'attendre dans cette chambre du Gueliz. Elle regardait la télé toute la journée, les clips avec les belly danseuses de la télé turque, leurs paillettes et leurs perles. Vous êtes allé danser vous aussi au Comptoir Paris-Marrakech. Il y avait une chanteuse libanaise, en rouge étincelant, elle chantait aux tables du restaurant, des airs pleins de habibis et de hayatis. Le prix des consommations, 80 dirhams, t'avait fait dresser les cheveux sur la tête. Le lendemain soir, de toutes façons, dans un club beaucoup plus cheap, où les tabourets zébrés en poils synthétiques avait remplacé les kilims, on avait refusé de te servir de l'alcool car c'était le Nouvel An marocain. Elle avait payé son verre, d'ailleurs, un mojito quasi halal, avec beaucoup de menthe, de sucre et très peu de rhum. Elle s'était étonnée d'y voir des filles, très jeunes, très minces dans leurs jeans, presque des lycéennes. Elle te les avait désignées du doigt et tu avais répondu, méprisant, que les putes c'était pas ton truc. Vous aviez dansé sur "Maldon'" des Zouk Machine. Il y avait un autre couple, des jeunes, des français, elle les a retrouvés dans l'avion le lendemain, elle ne savait pas qu'elle ne te reverrait plus.


Qu'est ce que j'en savais qu'elle prendrait tout ça au sérieux? Comment peut-on débarquer, comme ça dans la vie des gens? Moi, je voulais pas rester au Maroc. Enfin, pas comme ça, sans boulot, sans rien. J'ai pensé à un moment l'épouser puisqu'il n'y avait pas d'autre moyen de s'en aller. Je lui disais "Epouse-moi. Donne-moi une fille qui te ressemble.". Mais, il y avait l'autre, l'anglaise, je l'ai connue bien avant. C'est avec elle que je me suis mariée. . C'est là que je suis maintenant, ici, il pleut tous les jours, j'ai quitté l'anglaise après lui avoir fait un enfant.  Je bois le samedi soir au pub, je grossis et je regarde la pluie tomber. Qu'est ce qu'elle est devenue, tu le sais?


Rien, elle n'est rien devenue. Un jour, j'ai fermé le fichier Word qui portait ton nom et elle a disparu. C'est ton tour ce soir, tu as quelque chose à dire avant?

Nous arrivons au bord du fleuve. Les quais sont éclairés, il flotte un parfum de vacances et de paix, des étudiants, cheveux longs, chemise ouverte, jouent de la guitare.

Je voulais dire que ce n'était pas ma faute.

"Oui, je sais, c'est la mienne. Désolée pour vous deux." dis-je, avant de le pousser à l'eau.





Aucun commentaire: