dimanche, décembre 26, 2021

Atelier Salammbô : épisode 1


                          






              C’était dans les jardins de Meknès, par une chaude après-midi d’été.


Les carpes dorées nageaient dans les bassins de porphyre. Leur bouches venaient caresser la surface de l’onde dans l’espoir d’être nourries par des mains aimantes. 

Je laissais mes doigts aller au fil de l'eau parfumée. Le murmure des oiseaux me parvenaient  depuis les hauts palmiers qui protégeaient ma retraite du soleil. 

Assise au bord d’une vasque, le regard perdu dans le miroir liquide qui se tendait vers moi, mes pensées
oisives me ramenaient sans cesse à la magnificence de ces jardins, orgueil du sultan. Dix ans s’étaient écoulés depuis que j'avais été capturée sur les rives de ma Géorgie natale. Je n’avais rien connu d’autre que cet enclos paradisiaque, flanqué de hauts murs que l’on disait infranchissables.

La chaleur nous écrasait moi et mes compagnes. Nous avions pour certaines pris refuge à l’ombre de ces immenses palmiers dattiers. Les autres restaient cloîtrées dans l’austère palais impérial, à l'abri des regards derrière ses fenêtres grillagées. Je fermais les yeux et m’imaginais à leur côté, dans les profondeurs du harem. Le hammam exhalait son souffle humide de bête somnolente. Les effluves de romarin, d’orange et d’eucalyptus enveloppait les formes onctueuses des courtisanes alanguies, leurs fronts perlés de sueur, leur chevelure opulentes dont chaque mèche avait été spécialement éclaircie, nourrie et parfumée pour la caresse d’un seul homme.


Après tout, pourquoi se préoccuper du lendemain.  Il n’y avait qu’à frapper dans ses mains pour voir apparaître sur un plateau d’argent une minuscule théière fumante accompagnée de pâtisseries fraîches.


Oui à quoi bon… Qu’importe le lendemain, qui ressemblerait à tous les autres jours, s’étirant paresseusement telle une liane au soleil. 

Pourtant, je n’avais que faire d’un autre jour passé à nourrir mon ennui de cornes de gazelle et de pastilla au lait, seule comptait la nuit. 

J’attendais impatiemment le lever de Tanit dans ses voiles ombreux. Une seule nuit, dans une seule vie, me disais-je, en refermant mes doigts sur la petite clé d’argent, que venait de me remettre l'eunuque que j’avais soudoyé.


A suivre