samedi, avril 25, 2015

Souvenirs du 8 mai 1945 par Jean, fils de Marius, prisonnier en Allemagne.


Une fois n'est pas coutume le texte n'est pas de moi mais de mon père qui décrit ses souvenirs de la Libération. 

mai 1945

Le 8 mai la France éclate de joie. Il n’en est pas de même pour ma mère et pour moi. Mon père est prisonnier. Notre dernière rencontre (brève) s’est effectuée sur le quai de la gare Saint-Charles, lors d’une halte du convoi qui emmenait son bataillon de chasseurs alpins vers  une «destination inconnue» (relever les combattants de la ligne Maginot nord-est). C’est la dernière fois que ma mère et moi l’avons embrassé.
Depuis 5 ans, nous n’avons plus eu, avec mon père, que des contacts écrits, sur des imprimés fournis par l’état et soumis à la censure. Ma mère lui expédie des colis dont le nombre est rationné. Elle fabrique des conserves serties par le ferblantier du quartier. Ces conserves seront percées d’un coup de baïonnette lors de leur arrivée au camp de prisonnier afin d’être obligatoirement mangées dans les plus brefs délais.
A la suite du débarquement allié, le courrier passe de plus en plus mal. Depuis la chute de Hambourg où se trouve le stalag X B de Sandbostel, nous n’avons plus aucune nouvelle. Nous sommes inquiets ! En ce jour de liesse, après 5 ans d’attente, une issue fatale serait pour nous horrible.

Pour fêter ce jour, le service du ravitaillement à fait les choses en grand. La boulangerie de mes grands-parents à la Croix Rouge a reçu de la farine « blanche », de la margarine, de la poudre de lait et d’œufs, du sucre afin de fabriquer les « gâteaux de la victoire ».
Toutes ces denrées sont à récupérer au service du « Contrôle économique » rue Pierre Dupré (les tickets de rationnement existent toujours). Pour aller charger les colis, tous les véhicules sont autorisés à circuler. La vieille B 14 Citroën de la boulangerie qui a passé 5 ans camouflée sous des fascines sensées chauffer le four, peut circuler. Son réservoir en tôle s’est rouillé, le carburateur s’encrasse tous les kilomètres. Il faut s’arrêter, démonter l’arrivée d’essence et souffler dans le tuyau afin d’extraire les impuretés.
Qu’importe, les gâteaux seront fabriqués et vendus sans tickets et à prix coutant.

Ma mère commise de la boulangerie ne participe pas à l’enthousiasme des clients.

En effet, cette photo de chez Falcone résume assez bien ce qu’a été notre sentiment pendant ces 5 longues années.

Je pense que de nombreuses familles de prisonniers ont fait faire ce cliché.

Ces photos étaient envoyées au stalag pour soutenir le moral des prisonniers et montrer que malgré la séparation, l’amour et l’affection des proches demeuraient.

Ma grand-mère Marie, Mon père Jean. Ma grand-mère Marie

La valise de prisonnier de Marius, mon grand-père peinte par lui-même.


A cette photo, répond la peinture sur la valise en bois de mon père que nous avons découvert lors de son retour.



25 mai 1945. Depuis plusieurs soirs, nous espérons  le retour de mon père.
 En effet, les premiers trains de prisonniers libérés arrivent en gare Saint Charles.
Si la majorité de ces retrouvailles se passent en embrassades, il y a des querelles, des heurts. 5 années d’éloignement créent souvent des situations de rupture. La force publique a jugé bon de limiter l’accès du public aux quais de la gare.
Nous sommes venus plusieurs soirs de suite, nous avons  la chance de connaître un client qui est factionnaire à l’entrée, ce qui facilite les choses. Nous sommes donc sur le quai avec ma grand-mère qui elle aussi attend son cher fils. Les parents et amis n’ont pu entrer.
Soudain, un train entre en gare, des visages apparaissent aux portières, ma mère sourit et crie : « Il est là ! ». Mon père descend, il a les traits tirés, amaigris, il flotte dans sa capote gris-verdâtre où dans le dos sont inscrites les lettres KGF. Il embrasse longuement ma mère puis la sienne, il se tourne vers moi et ma mère me dit : « C’est ton papa ! » Je suis interloqué, je ne suis plus « Fils de prisonnier », je suis un garçon comme tous mes autres copains qui se font gronder par leur père lorsqu’ils font une bêtise.
Nous sortons de la gare, mes oncles, leurs épouses, les cousins et cousines sont tous là pour l’accueillir. Mon père est ébloui par la tenue des femmes. Il a quitté la France à l’époque de la « Garçonne », il retrouve des coiffures aux « mises en plis » impressionnantes, des robes  et jupes raccourcies, des bas de nylon que les américains ont apportés. Il est loin des « gretchens » de Hambourg.
  Nous montons dans des voitures pour rejoindre la boulangerie de mes grands-parents. Je suis dans une Celtaquatre Renault entre mes parents. Notre famille est enfin réunie.

dimanche, mars 29, 2015

Julia à AB : vostè necessita

Cher AB

Je sais que vous vous plaignez de ne pas pouvoir vous procurer « l'Ombre de l'Eunuque », de Jaume Cabre . Ne me demandez pas comment, l'omniscience fait partie de mes attributions, je dois composer avec et croyez-moi ce n'est pas forcément facile tous les jours. Je suis au courant de vos réclamations auprès de l'auteur et je vous soutiens dans ce combat cher AB. Il faut absolument rééditer cet ouvrage car mon personnage , Julia, féminine, féministe, post-moderniste et anticléricale est des plus intéressants. Je suis personnellement ravie de ma (sa?) carnation parfaite, de l'ébène de mes cheveux, de ma taille déliée et de ma dentition régulière. De plus, M. Cabre m'a faite docteur honoris cosa en littérature post-moderne. Ma thèse porte en effet sur les occurrences des consonnes plosives (phonèmes /p/, /t/, /k/, ) dans « Cap au pire » de Samuel Beckett. Vraiment, je ne saurais que féliciter Jaume pour avoir su composer un magnifique personnage de femme catalane.

C'est là que vous pouvez voler à mon secours, cher AB, le livre étant malheureusement en rupture du stock, je me retrouve provisoirement sans emploi, la crise étant ce que vous savez en Espagne. C'est là que je dis, hardi, AB ! Podemos ! Jetons nous à l'eau sans autre forme de procès, je veux être votre prochain personnage ! Tout est livré clefs en main, la construction psychologique, la description physique, le passé trouble et la focalisation interne !J'ajoute que la métalepse ne me fait pas peur , je sais que vous en êtes adepte. L'incarnation pourrait avoir lieu dans la psyché de votre chambre et je pourrais par exemple laisser l'empreinte de mon visage sur votre oreiller ? Qu'en pensez-vous ?
Ne soyez pas timide, je veux être à vous, prenez-moi là tout de suite cher AB, couchez-moi sur votre Document Word SansNom1, vous ne le regretterez pas. Il me tarde que vous resserriez les entraves de votre graphie méticuleuse sur moi.


Votre (futur?) objet littéraire


Julia.



dimanche, mars 01, 2015

Julia Jaume Barcelona. M'en vaig.



 Nouveau texte inspiré des personnages de l'Ombre de l'Eunnuque de Jaume Cabré.



Si tu trouves cette lettre, c'est que tu auras comme à ton habitude fouillé mes poches et mes tiroirs. Tu auras sans doute ouvert le tiroir du chiffonnier en ronce de noyer qui contient ma lingerie, soulevé mes culottes en dentelles blanches, celles décorées de 3 perles miniatures au niveau du nombril, constaté qu'il en manquait quelques unes. Peut-être auras-tu poussé le vice jusqu'à inspecter ma boite de tampons hygiéniques, j'en ris à distance, toi qui a toujours méprisé ce que tu appelles avec dégoût « les menstruations. » .


Du chiffonnier tu seras donc passé au miroir à trumeau de type « Berlioz » décoré de motifs en résine moulés. Ce miroir que tu m'accusais d'user chaque matin, on aurai cru entendre mon père : « Julia, arrête de te regarder dans la vitre de l'horloge, dans le pied de la lampe 1930 , dans la louche en argent. » mais MERDE, qu'est ce que pouvait vous faire à toi et à lui ?

Tu l'auras donc trouvée cette fameuse lettre , griffonnée au bic noir sur du papier jauni (il n'y a décidément rien de neuf dans cette baraque ) coincée entre le mur et ce fameux miroir. Et puis tu l'as sans doute deviné maintenant, je te quitte. Bien sûr, j'aurais pu te donner des explications ce mati mais j'ai préféré partir sans discussion. Tu m'aurais sans doute à nouveau reproché mes réponses laconiques, mon incapacité à me concentrer sur une vraie relation, mon mutisme. Aujourd'hui c'est fini. Je vous ai tous supportés mon père, toi, les curés, avec vos diktats et vos impostures. C'est terminé.

C'est hier soir que j'ai compris. Dans ce restaurant minable où ta légendaire pingrerie nous a fait échouer, enfoncés dans cette taule du Bario Gotico, où tout était déprimant, du papier tue mouche descendant en zigzag du plafond, jusqu'aux motifs a carreaux des nappes trouées par les cigarettes. L'odeur du graillon se mêlait aux effluves de ninas.
Je t'ai regardé étudier la carte dans ses moindres détails, tu as longuement hésité à commander une bouteille de mauvais vino tinto qui râpait la langue. J'ai eu le sentiment très net d'être épiée, sans doute redoutais-tu que je demande le plat le plus cher. Tu m'as d'ailleurs fait remarquer qu'une media racion de boles de picolat suffisait largement. Je me concentrais sur les taches de café du menu pour ne pas voir tes dents jaunies par le tabac, ta peau grise et tes cheveux gras.

C'est à ce moment là que j'ai su que je ne pouvais pas continuer. Tes déprimes à répétition, ce spleen que tu traînes à longueur d'année, sans qu'on en connaisse le pourquoi du comment, je ne le supporte plus . Tes airs prétentieux m'indisposent aussi lorsque tu prends tes poses de vierge effarouchée pour me traiter de sale gosse gâtée et embourgeoisée.

Je suis donc partie ce matin, tu ronflais encore. Tu as juste bredouillé de remonter des Ducados pendant que je zippais ma robe de laine noire devant la psyché  et fardais mes lèvres de Rouge Baiser.

Sans doute es-tu en train de regretter tout ce temps perdu mais il est bien trop tard. Lorsque tu liras cette lettre, je serai déjà loin.



Julia.