vendredi, juin 12, 2009

Le journal d'Henriette.






Atelier d'écriture, dernier texte en date. Consigne "décrire un choc culturel." Z'allez pas être déçus.

Le journal d'Henriette.



Lundi 3 Septembre :

Cher Journal,

Pour ma première journée, je ne pouvais pas faire mieux! Conformément à l'avis de Maman, je me suis efforcée de ne pas trop me faire remarquer, j'ai mis mon tailleur rose-pâle dont j'ai fermé la veste autant que possible et mes mocassins beiges. Évidemment, je cherchais à faire plus vieux que mon âge mais çà n'a pas marché. Lorsque je suis entrée dans son bureau, le principal m'a dit « Vous avez déjà enseigné dans ce type d'établissement? »

Je lui ai répondu que non bien sûr, en me retenant le lui faire remarquer que si j'avais atterri ici, c'était bien parce que je n'avais jamais enseigné nulle part, ni dans ce type d'établissement, ni ailleurs. Il a ajouté : « C'est dur ici vous savez! » et puis il m'a présentée à son adjointe qui a jugé mon attitude avec sévérité avant de m'accompagner sur les rangs.

Là, quelle ne fut pas ma surprise, cher Journal, de voir des élèves sans cartable, la chemise ouverte sur des poitrails imberbes et le carnet de correspondance coincé dans le jean! L'adjointe avait l'air un brin compatissante en me disant « Voilà, je vous les laisse! »

Cher Journal, Maman m'avait bien dit de faire profil bas sur les rangs et d'attendre d'être dans ma classe pour faire de la discipline mais du groupe fusaient des « 95D » dont je ne savais quoi penser. Je me suis demandée quelle marque de portable cela pouvait bien désigner et puis j'ai vite renoncé car il fallait les faire entrer en classe.

Une fois la porte fermée, je les fis asseoir tant bien que mal. Je remarquai que contrairement à ceux qui portaient la chemise bien ouverte; d'autres ne quittaient pas leurs doudounes qui me paraissaient un peu chaudes pour un mois de septembre.

Je commençai à faire l'appel en écorchant les noms pour finalement ne me concentrer sur les prénoms qui souvent différaient de ceux inscrits sur la liste. Quelquefois, lorsqu'un élève manquait, un cri « Il est au bled! » jaillissait du fond de la classe.

Puis, je commençai mon cours, lorsqu'un adolescent m'interpella en me demandant comment on disait « La touffe » en anglais et je lui répondis « Shaggy hair », ce qui déclencha l'hilarité générale. C'est vrai que j'aurais du me faire un chignon, mais les épingles me rentrent dans le cuir chevelu, je ne les supporte pas.

Enfin, le cours se passa tant bien que mal, je crois, malgré tout, avoir réussi à nouer le contact, cher Journal et je suis heureuse de pouvoir me confronter à ma véritable mission!




Jeudi 15 Septembre


Aujourd'hui, çà s'est assez mal passé. J'ai d'abord remarqué que les sixièmes passent leur temps en classe à grignoter des graines de tournesol appelées « pépites » qu'ils crachent ensuite sur le sol. Je n'ai rien osé dire et suis allée chercher le balai à la récréation afin de nettoyer.

Un de mes élèves m'inquiète, il voit des aliens partout, passe son temps à leur tirer dessus (sur les aliens) et parle seul. J'ai décide de l'isoler. D'autres sont venus me dire qu'un de leur camarade s'amusait à faire des grimaces dans mon dos . Je l'ai pris à part à la fin du cours afin de le sermonner et de lui montrer que son attitude nuisait à toute la classe. Il m'a bien promis de ne plus recommencer.

Tout est allé assez bien jusqu'à 16h où une élève m'a dit d'aller, je n'ose le répéter mais à toi, je peux le confier, « niquer mes morts. » Je me suis confiée au CPE, qui m'a bien expliqué qu'il ne fallait pas prendre cela personnellement mais plutôt comme l'expression de la violence connue à la maison. Je suis heureuse qu'il m'ait ainsi conseillée cher Journal. Lui-même est plein d'abnégation, les élèves l'appellent régulièrement «Maricon! »1 et il trouve que c'est bon signe qu'ils utilisent leur langue maternelle pour communiquer. Il me dit de privilégier le dialogue, c'est ce que je m'efforce de faire...



Mardi 13 octobre

Je tiens encore cher Journal mais je ne te cache pas que c'est très dur. Aujourd'hui Fabrice a attaqué Emilie, croyant avoir à faire à une alien. Il lui enfoncé la pommette. La mère est venue furieuse me demander des comptes, je pense qu'elle va porter plainte, je l'espère pas contre moi. Les quatrièmes ont profité d'un moment d'inattention (j'étais dans la salle attenante en espérant trouver un appareil de télévision en état de marche) pour faire un ring avec des tables afin que deux d'entre eux puissent se battre.

Que faire? Je discute encore et toujours mais je me sens impuissante.


Novembre (jour illisible)

Encore un jour dans ce bahut de merde et je flingue tout le monde. Ces petits cons m'ont balancé un clou dans le tableau et m'ont bombardée de prunes pas mûres à la sortie. Cette grande trompette2 de CPE m'a fait son sermon en bois, s'il ouvre encore la bouche, je l'encadre!



DATE INCONNUE


Bordel, çà a saigné aujourd'hui!

J'ai viré un élève avec sa table et sa chaise, vidé des sacs par les fenêtres, claqué des portes dans la figure, distribué des steaks3 aux sixièmes mangeurs de pépites et pendu Mehdi-la-grimace au porte-manteau!

J'ai prévenu que si j'en entendais encore un dire « Je bouffe la chatte A ta mère » au lieu de « DE ta mère », je lui faisais manger son extrait de naissance.

Je suis à bout, cher Journal. Je suis capable de commettre un meurtre, au bord du fait divers. N'ai pas changé de jean depuis quinze jours et mes baskets, (mes « crêpes »4, comme ils disent) commencent à renifler sévère. Ce n'est pas grave, ils ne m'auront pas. Je résisterai et Maman sera fière de moi.

We are your friends, you'll never be alone again...

Ecoutez Justice ici


Juste pour dire qu'un nouveau record a été battu...Récemment invitée à une soirée mojitos, electro, hugging, touching, french-kissing, naked-bathing et plus si affinités, ai eu le plaisir de voir nos amis de la police débarquer à ....onze heures...appelés par personne, d'ailleurs, juste pour prévenir...


Justice a été passé bien plus tard, je trouvais que çà s'accordait bien avec l'atmosphère générale...

La randonnée à vélo ou comment je me suis disputée...






  "J'en ai marre."

Comment leur faire comprendre que j'en ai marre? J'en ai marre de leur esprit de groupe, de leur camaraderie à la mords-moi le flanc, de leurs tee-shirts Quechuas et de leurs grosses chaussures de rando. Et puis j'aime pas la montagne...Surtout la montagne en été parce qu'il y fait moche. Il pleut depuis des jours et des jours et rien d'autre à faire que de jouer avec un vieux jeu de Scrabble auquel il manque vingt-cinq jetons, affalés sur des bancs en pin clair, pur produit de l'artisanat du Queyras.
Et les randonneurs de s'extasier «  Ah! Le bon air frais! », « Ah! La montagne çà vous gagne! » Et le soleil? Où est le soleil? C'est pour les Anglais ou quoi?

Ils me disent : « Toi, tu ne fais que râler. Tu peux pas t'intéresser un peu? Là, tu viens de rater un mot compte triple! Lâche un peu ton IPhone et ton vernis à ongles! Viens participer! » Participer ? Y a même pas de WIFI  ici et la 4G rame à mort !  Y a rien que de la montagne moche et des chemins boueux et le Trou de la Dame qui est encore bouché ce matin! Le Trou de la Dame, c'est le sommet qu'on aperçoit depuis l'appartement des joyeux lurons. C'est ce qu'on dit ici : « Quand le trou de la Dame est bouché, la journée entière ça va pisser » Devinez quoi? Ce foutu trou est bouché depuis le début du séjour.

Sauf ce matin. Tiens, le soleil est revenu de Londres nous faire une petite visite, après avoir fait cramer les Brits dans Hyde Park. Vite, les boy scouts chaussent leurs Ray Bans polarisées, histoire de pas choper un cancer des yeux :
«  C'est géniaaaaaaaaaal..... On va pouvoir aller se faire une rando!! »

Une quoi? Même pas en rêve,  mon frère, moi je lâche pas mes Jimmy Choo d'une semelle. Je sais pas marcher d'abord et puis j'ai pas pu passer chez Décathlon me procurer les Quechuas Outdoor triple étanchéité idoines, c'est ballot hein?

« Meuh non! Une rando à vélo! T'as rien à faire, juste à pédaler, Maeva Ghennam! C'est que de la descente! »

Mouais, de toutes façons, si je reste les fesses vissées sur ces chaises sculptées par un autochtone qui s'est pris un jour pour un designer, je vais afficher au moins deux kilos de plus. D'ailleurs, je suis sûre que je les ai déjà pris, merci la raclette et la tarte aux myrtilles.

Bon me voilà partie...Tout le monde est joie et extase...On a rendez-vous devant
l'Office du Tourisme. Tiens, voilà la G.Otte, tu peux pas la manquer, elle a une polaire en bouclettes beige, on dirait qu'elle a buté la maman de Petit Ours Brun. Elle a le sourire radieux des gens qui ne s'ennuient jamais et un bandana sur le front que personne oserait porter en public. Les randonneurs sont hyper-ravis de la voir et ils enfourchent leurs vélos avec enthousiasme.

Moi, j'aime pas les sportifs hilares. Et puis quand j'aime pas les gens, ça se voit. Mais va savoir pourquoi ces mêmes gens que j'aime pas sont aussi crétins que les chats qui viennent se frotter aux jambes de ceux qui peuvent pas les blairer. Gentille Organisatrice vient se planter devant moi.

« Ca va? »

Bin oui, ça va, pendant que mes copines font doyoudoyoudoyousaintropez en prenant leur douche au champagne, moi je passe des vacances intelligentes, avec ma Kindle, (j'ai même lu Game of Thrones en anglais), habillée comme un sac, avec des boutons plein la tronche.
Et allez vas-y la rando. Comme on est trop fort pour passer par la route on sort des sentiers battus.
En gros, on se lance sur un chemin forestier et vu le taux d'humidité de ces derniers jours, les fondrières font environ cinquante centimètres de profondeur.
Et vlaaaaaaaaaaaaf, voilà mes New Balance toutes degueus. Madame Guronsan me lance « Ca va? » Elle a droit en retour à mon fameux sourire hypocrite numéro cinq, celui que je réserve en général à mon chef.
C'est de pire en pire. A la gadoue, succède un torrent à sec, plein de pierres hostiles. Mon vélo saute dans tous les sens, on dirait la Ford T de Gaston Lagaffe lancée à toute blinde.
Les randonneurs sont aux anges, leurs Quechuas n'ont plus figure humaine, leurs Ray Bans sont mouchetées de boue.

Et Miss Alpe d'Huez 2014 qui me gratifie d'un « Ca va? »

« NON! CA VA PAS. »


Et là dessus, je me taille, sur la route en mode escape, NIQUEZ-VOUS, bande de bouseux moi je rentre à Marseille.