dimanche, mai 20, 2012

Tristes Tropiques, poème pour un seul arbre.


Tristes Tropiques


Longtemps, je me perds dans les forêts de pluie.
Remontant l'Orénoque, le Rio Negro et l'Inini.
Pluies sans répit sur mon âme endormie.
Des nuits d'insomnie, à guetter l'appel de l'Amazonie.

Murmure, flûte mélancolique, dans la forêt de pluie
Jungle dans ma tête, réalité que je fuis.
Fleurs, troncs, feuillages,
S'écartent sur mon passage.

Ma pirogue glisse sur le Maroni,
Nuit, grenouilles, insectes, tapage
Coque qui fend les eaux sombres
Trempée par la pluie sans relâche.

L'eau comme de l'encre et la cascade si blanche
Avant de se lâcher dans la vasque, enfants se tenant aux branches
Plonger dans l'onde et ne jamais remonter
Couler à pic dans les flots noirs de l'oubli

La forêt est verte comme la pluie
Feuilles, mousse, troncs, arbres
Chercher un arbre, un seul arbre, un nid
Un tronc solide, territoire infini

Pluie, magie, chamane aux yeux pers
Je suis singe hurleur au loup de soie
De la cime de l'arbre, au fond de la selva
Un gouffre de jade, un cenote aux reflets verts.

Vert de jade et gouffre amer
De la cime de l'arbre, mon âme à l'envers
Sacrifice, danse et magie
Mon coeur coule dans le Maroni.

Longtemps, je me perds dans la forêt de pluie
Singe hurleur, masque de soie, foudroyé
Danses, incantations, magie
Plonger, tournoyer, se noyer.

Dans le vert jade, le cenote
De ses yeux, ne jamais remonter.
Couler à pic, oublier la douleur
La forêt me perd, reste la couleur.



mardi, mai 08, 2012

Rendez-vous à Queen's Court.






Une gare du nord de l'Angleterre, un soir d'été.
Du monde, beaucoup de monde, le quai est long. A la sortie, il faut remettre son billet dans la machine.

Un garçon brun m'a hélée, pas très grand-pantalon beige, veste indistincte qu'il a du mal à fermer. .

Je passe directement sans le regarder dans les yeux. J'emprunte un tunnel pour sortir de la gare. Briques rouges, carreaux blancs.

Il est tard, bien plus tard que vingt heures.

Subway vide, flickering light, lumière tremblotante du néon. Ne suis pas seule, je le sens, une étrange mélodie émerge dans ma tête.

Midnight in the subway
She's on her way home
She tries hard not to run
But she feels she's not  alone.


Si tu le fais, n'aies pas peur.

Echoes of footsteps follow close behind

Des pas font écho, juste derrière moi.

But she dares not turn around.

Je n'ose pas me retourner. Pourtant, je sens un souffle dans mon cou. Puis un murmure : "Tu me reconnais?"
Je réponds "Non." et je sais que je mens. Si je me retournais, je sais très bien ce que je verrai. Des yeux noirs en amande, un sourire et des dents blanches.

Je ferme les yeux et je pars en courant droit devant moi. Je sors de la gare et je me rue au hasard. Je croise des filles-miniskirts paillettées, stilettos , tee shirts hen's night party -des hommes en cravates, des familles entières du grand-père à la petite fille, également tatoués, édentés, abreuvés, attablés aux beer gardens des pubs.
Je m'engouffre dans une cour pavée. Sous le porche, des travestis en boa, des garçons- shorts en jeans moulants, doc marten's , des chicks sorties tout droit de "the L Word"-bracelet de force et débardeur Calvin Klein. Tout le monde fume, tout le monde boit : des pints, des shots, des bottled beer, des premix teintés de bleu et de rose. On commande les drinks par trois ou quatre pour éviter la queue monstrueuse au comptoir. Au dessus de ma tête des guirlandes d'ampoules colorées, accrochées aux balcons de ce qui a du être une rue commerçante du Leeds au début du dix-neuvième . Des gens s'y trémoussent et y trébuchent, de la musique électro s'échappe des bars aux noms très vingt et unième : Fibre, the Loft, the Pink Pounder.

Les basses m'envahissent, me prennent aux tripes et me retournent, le visage écrasé au ciel.


Universe is full of stars
Nothing out there looks the same
You're the one that I've been waiting for
I don't even know your name

Des bulles, des confettis et des ballons. La nuit au dessus, les étoiles, c'est l'été, peut-être même le solstice, il fait presque chaud. Je ne sais pas où me tenir où plutôt je tiens toute seule, écrasée, compressée, bousculée, les pieds mouillés par les verres qu'on renverse. A terre des flyers réduits à l'état de bouillie sur les pavés annoncent : "Drinks £1 all night long".
Je me recule, encore pour me retrouver sous le porche de briques rouges. Le mur porte le nom du lieu où je me trouve « Queen's Court ».



Le souffle à nouveau sur ma nuque, je me retourne et il est là sans même que je l'ai vu ou entendu venir. Il s'est déplacé à la vitesse de la lumière comme un vampire de Mystic Falls. Il approche son visage du mien, je croise son regard, l'un de ses iris plus foncé que l'autre.

Je m'entends murmurer "Un oeil pour ton père, un oeil pour ta mère."
"La mémoire te revient, on dirait." c'est ce qu'il me répond.

"Tu m'as déjà dit çà?"
" Non, pas à toi."
"Alors, à qui?
"A elle, je lui ai dit à Elle, la fille de l'aéroport de Marrakech. Elle avait pris l'avion, elle était venue me rejoindre là-bas. Elle ne me connaissait pas, elle avait juste fait l'amour avec moi sur internet."

Les basses des musiques électroniques se sont calmées. Il est une heure du matin, c'est l'heure du chill out et de la musique lounge. La foule de Queen's Court se disperse peu à peu.

Son regard se porte au delà du porche, vers les rues pavées de la ville qui descendent vers la rivière.
Je l'entends souffler.

"Elle est venue, je ne l'aurais pas cru. Qu'est ce que tu voulais que je fasse? J'habitais chez mes parents, on pouvait pas aller à l'hôtel. Alors, je l'ai cachée dans un appartement du Guéliz.."
"Et tu retournais la voir en douce dans la journée, à la pause-déjeuner.. et puis aussi le soir...tu te tirais par le porte de derrière."
"Non par la terrasse."


Par la terrasse, oui. Tu ne te changeais même pas, tu as porté le même pull à rayures et le même jeans pendant trois jours."
" La mémoire te revient donc. A ton âge, on n'est pas amnésique?"
"Et au tien, petit con, on est quoi? Quel âge as-tu donc maintenant?"
"Quatre ans de plus, trente ans...tu te souviens maintenant?

Nous marchons désormais dans les rues, vers la rivière Leith. L'humidité poisse l'atmosphère, il fait froid. Ses pas se font plus légers, sa présence se dissout par instant à mes côtés.


Oui, maintenant je me souviens, les trois nuits qu'elle a passées avec toi, et les quatre jours à t'attendre dans cette chambre du Gueliz. Elle regardait la télé toute la journée, les clips avec les belly danseuses de la télé turque, leurs paillettes et leurs perles. Vous êtes allé danser vous aussi au Comptoir Paris-Marrakech. Il y avait une chanteuse libanaise, en rouge étincelant, elle chantait aux tables du restaurant, des airs pleins de habibis et de hayatis. Le prix des consommations, 80 dirhams, t'avait fait dresser les cheveux sur la tête. Le lendemain soir, de toutes façons, dans un club beaucoup plus cheap, où les tabourets zébrés en poils synthétiques avait remplacé les kilims, on avait refusé de te servir de l'alcool car c'était le Nouvel An marocain. Elle avait payé son verre, d'ailleurs, un mojito quasi halal, avec beaucoup de menthe, de sucre et très peu de rhum. Elle s'était étonnée d'y voir des filles, très jeunes, très minces dans leurs jeans, presque des lycéennes. Elle te les avait désignées du doigt et tu avais répondu, méprisant, que les putes c'était pas ton truc. Vous aviez dansé sur "Maldon'" des Zouk Machine. Il y avait un autre couple, des jeunes, des français, elle les a retrouvés dans l'avion le lendemain, elle ne savait pas qu'elle ne te reverrait plus.


Qu'est ce que j'en savais qu'elle prendrait tout ça au sérieux? Comment peut-on débarquer, comme ça dans la vie des gens? Moi, je voulais pas rester au Maroc. Enfin, pas comme ça, sans boulot, sans rien. J'ai pensé à un moment l'épouser puisqu'il n'y avait pas d'autre moyen de s'en aller. Je lui disais "Epouse-moi. Donne-moi une fille qui te ressemble.". Mais, il y avait l'autre, l'anglaise, je l'ai connue bien avant. C'est avec elle que je me suis mariée. . C'est là que je suis maintenant, ici, il pleut tous les jours, j'ai quitté l'anglaise après lui avoir fait un enfant.  Je bois le samedi soir au pub, je grossis et je regarde la pluie tomber. Qu'est ce qu'elle est devenue, tu le sais?


Rien, elle n'est rien devenue. Un jour, j'ai fermé le fichier Word qui portait ton nom et elle a disparu. C'est ton tour ce soir, tu as quelque chose à dire avant?

Nous arrivons au bord du fleuve. Les quais sont éclairés, il flotte un parfum de vacances et de paix, des étudiants, cheveux longs, chemise ouverte, jouent de la guitare.

Je voulais dire que ce n'était pas ma faute.

"Oui, je sais, c'est la mienne. Désolée pour vous deux." dis-je, avant de le pousser à l'eau.





vendredi, mai 04, 2012

Scène de la vie conjugale (ou pas)




Marseille, un soir de mai...
Antoine, la cinquantaine flamboyante, BHL style, est féru de littérature, d'opéra et de séries TV haut de gamme. Adeline, 35 ans, aime les sandales compensées et le vernis à ongles jaunes.
Antoine a séduit Adeline après trois semaines d'approche, toute en French Touch, très classe. S'en sont suivis quelques jours de frénésie sexuelle bien compréhensibles. Mais ce soir-là, après avoir apprécié le lyrisme de Don Juan en DVD, l'atmosphère se charge un peu de nuages.


« Bon allez, on va un peu changer de Don Juan, hein Toinou! On va sortir un peu, ailleurs. »

Elle avait raison dans un sens, les murs du salon semblaient s'être rapprochés. Le plafond lui-même était sur le point de leur tomber sur la tête.

« Don Juan, tu parles, bonjour le pansement! Tu ne veux jamais sortir, toujours enfermé avec tes bouquins et tes DVDs! En plus, t'as même pas un vrai film là-dedans! Jean-Louis Godard, non mais vraiment, y a que toi pour regarder des trucs pareils! Viens, ma copine Natacha fête son anniv à « la Casca. » On va y aller, moi je craque! »

Antoine pensait confusément qu'il n'avait aucune envie d'aller à cet anniversaire et surtout pas de prendre sa voiture pour aller en ville. Et puis, elle exagérait, avec l'âge, ses goûts étaient beaucoup plus mainstream. Il songeait avec envie à la saison sept de Desperate Housewives qu'il avait téléchargée de façon totalement illégale et qui dormait dans son hard disk préféré.

Mais, il n'était pas question de s'opposer à Adeline, il fallut donc céder. Il hésita un instant, faillit lui dire dire d'y aller toute seule puis se ressaisit, à l'idée qu'elle se fasse draguer de façon éhontée par un jeune con aux dents longues et à l'haleine fraiche.

C'était samedi soir donc, Antoine sortit sa voiture du garage. En Marseillais averti, il n'envisagea pas un seul instant d'utiliser les transports en commun, qui desservaient pourtant le centre-ville jusqu'à une heure du matin. Personne de sa connaissance ne semblait encore avoir osé les emprunter dans ces circonstances.

La jeune Sonia, qui ne brillait guère par son originalité, avait choisi de fêter son anniversaire au restaurant "La  Casca", dont les spécialités de tapas faisaient les délices des trentenaires boboisants. Ce lieu était idéalement situé à une centaine de mètres de la place Jean Jaurès, plus connue sous le nom de la Plaine, où il gara sa voiture non sans mal. Il négligea le parking du Cours Julien, horriblement cher et recelant des spécimens de cafards d'une taille peu commune en Europe. Il renonça également à celui situé sous la Plaine, désertés par les êtres humains et qui réveillait en lui des cauchemars claustrophobiques. De très aimables dealers les suivirent de leur yeux rouges, tandis qu'ils enfilaient la Rue Ferrari en se faufilant entre les crottes de chien et les poubelles débordantes. Le trottoir était trop étroit pour leur permettre de se tenir côte à côte et Antoine se vit contraint de trottiner derrière Adeline qui marchait à grands pas en pérorant sur le célibat persistant de Sonia à plus de 35 ans.

"Pas étonnant, d'ailleurs, avec cet espèce de vieux toujours pendu à ses basques..."

Antoine sursauta

"Quel vieux?"

"Ce vieux, là, Bigorneau, quel con ce mec! Lâchera jamais sa femme. L'a perdu sa baraque à Veleaux pour le premier divorce, lâchera jamais celle de Ventabren pour le deuxième!"

Antoine tint sa langue, Adeline poursuivit.

"Et puis quel obsédé! Il passe son temps à la coincer dans son bureau. Il arrive pour un oui pour un non, avec des dossiers bidons pleins les bras, elle a juste le temps de tirer le loquet et houp! sur la moquette. Sur le bureau, elle veut pas hein, elle a peur de flinguer l'ordi, mais lui tu parles çà l'excite, l'autre. C'est DSK à la sortie de la douche ce mec!.Vraiment ces types mariés, c'est rien que des lâches et des obsédés. Moi, ces gens qui pensent qu'au cul, çà me sidère."

Antoine sentit une sourde migraine lui vriller les tempes, il regrettait amèrement sa soirée disque dur mais il était trop tard, la porte de "la Casca" leur faisait face. La mise élégante du physionomiste contrastait avec les trottoirs poisseux et les relents de graillon, échappés d'une bouche invisible.

"Vous avez une réservation? " jeta-t-il dédaigneusement.

Antoine faillit lui répondre qu'on n'était ni à New York, ni à Paris, que sa gargotte délivrait des tapas douteux et du vin de cubi pour une addition moyenne de trente cinq euros . Il songea vaguement à appeler l'hygiène le lendemain puis se résolut à boire le calice jusqu'à la lie. Ils franchirent donc le rideau rouge et s'imprégnèrent de l'atmosphère travaillée sur le mode empathique. Fauteuils clubs aux accoudoirs de cuir usé, tables bancales, kilims, chandeliers et bougies à profusion les attendaient. La dernière pensée consciente d'Antoine fut qu'il se trouvait dans l'antichambre de l'enfer...



Merci a André de m'avoir prêté ses personnages.