mercredi, avril 14, 2021

Duck and cover !

Si toi aussi tu as passé ton enfance à écouter des 45 tours et porté des pulls en acrylique orange ce post est pour toi!

Une chambre, tapissée de motifs floraux roses et verts. Moquette de couleur non identifiée, plutôt dans les jaunes. Au centre de la pièce, sur un petit fauteuil bas en plastique blanc qui colle aux fesses, une petite fille, robe bleu canard sur sous-pull en acrylique orange est assise. Elle écoute des disques 45 tours dans un appareil orange également appelé mange-disque et sur lequel on lit l’inscription « Pepito ». A ses pieds, des pochettes illustrées de ces 45 tours, on lit des titres  de contes Cendrillon, la Belle au Bois Dormant, la Petite Sirène et celui qu’elle est en train d’écouter, Le Vilain Petit Canard. La pièce est envahie par la musique de Tchaïkovski  Le Lac des Cygnes, et lorsque je rentre dans la pièce, elle est en train de pleurer à chaudes larmes.

« Ah, ben, voilà. Mon Dieu, je supporte pas quand les gosses pleurent. T’en as pas marre de toujours pleurnicher sur le même passage : quand le Vilain Petit Canard se transforme en beau cygne, non mais sérieusement ? »

« Vous êtes qui ? Et comment vous êtes rentrée dans ma chambre ? »

« Je suis qui ? Ma foi, je suis ta bonne fée, qu’est-ce que tu crois ? »

« Ma fée ? »

« Ben oui, une bonne fée, comme dans les contes quoi . T’en écoutes pas assez comme ça ? »

« Heu, excuse-moi mais les fées elles sont pas comme toi. Elles sont blondes, avec des grands yeux bleus et une robe transparente qui brille, elles sont pas en jeans.  Et puis elles sont jeunes, t’as l’air vachement vieille, t’as au moins un million d’années. Et puis elle est où ta baguette ? »

« Sale petit cafard, tu t’es regardée ? On dirait, un singe avec tes 30 kilos et ton mètre douze ! T’as toujours les lèvres bleues quand tu vas à la piscine ? Et puis t’es toujours la chouchoute de la maîtresse le nez dans tes bouquins, t’as toujours pas d’amis, on te tire toujours les tresses à la récré ? »

La petite fille se met à hurler.

« Bon, allez voilà la sirène des pompiers. Mets-y un bouchon, merde. Tu me casses la tête. Ça va, j’avoue, je suis pas une fée. Je suis mieux que ça : j’ai un scoop pour toi. Enfin pour moi. Je suis toi. Et tu es moi. T’es contente ? »

« Je suis moi ? J’ai rien compris . Et non je suis pas contente »

« Je suis toi, dans quarante ans. Je viens du futur. Oui bon, je sais, mais regarde pas que le physique. La bonne nouvelle c’est que dans quarante ans, tu seras encore vivante, ça c’est déjà vachement bien. Et puis, je fais le plus beau métier du monde ! »

 

« T’es vulcanologue ? Tu t’es mariée avec Haroun Tazieff ? »

« Heu non pas vraiment. »

« T’es pas devenue prof au moins ? »

« Oui, aussi mais pas que. Je sais on avait dit jamais prof, mais je suis prof de théâtre : ça jette non ? »

« Heu, mouais. »

« Et puis, j’écris mes spectacles. Le premier mettait en scène une version plus jeune de moi-même, à treize ans, avec les mecs, l’amour tout ça. Mais bon sept ans, c’est pas mal aussi, on est pas plus heureux dans une cour de récré à sept ans qu’à treize de toutes façons. »

« Tu écris ? Moi, aussi j’écris, enfin je commence. Mais on me marque « sale » sur mes cahiers et je sais pas colorier sans dépasser. Tout le monde se moque de moi. »

« Bon, alors là : hyper bonne nouvelle, ça va s’arranger. D’ici trois ans on va t’offrir une machine à écrire, une Underwood bleue et blanche. Elle marche plus mais je l’ai encore. Et puis on va t’offrir des tas de carnets avec des cadenas, des cœurs, je sais moi, des trucs nunuches soi-disant de filles. Et tu continueras à écrire, tes textes seront dans des disquettes, des clés USB, des clouds. Et alors, on en aura plus rien à faire des cahiers avec marqué « sale ». »

« J’ai rien compris »

« C’est pas grave. Tu verras plus tard. Je suis devenue autrice, auteure, écrivaine quoi ! Ha merde, ne dis pas ça à la maîtresse, tu vas te faire engueuler. »

« Mais je m’en fous de ça. T’es artiste ou pas ? »

« Oui, enfin si on veut. J’enseigne le théâtre, tu vas pas tarder à commencer à prendre des cours d’ailleurs. Tu joueras un schtroumpf, un géant aux chaussettes rouges et une étoile triste. Bref, oui j’enseigne, j’écris, je mets en scène mes textes et je joue aussi. »

« Tu passes à la télé ?»

« Heu, non. »

« C’est nul. »

« Ben, ça s’appelle une vocation, ça vient de vocare, en latin, ça veut dire appeler. Tiens, tu pourras faire la fayotte avec ça. Et puis c’est pas plus nul que d’écouter des contes nunuches avec des princes charmants dans tous les coins.  Moi, dans mes histoires, je leur arrange la gueule au Prince Charmant, à la Belle Princesse et au Grand Cygne Tout Blanc, t’inquiète qu’ils regrettent pas le détour. Et puis, hop, ça commence ici l’éducation, ça suffit d’écouter les conneries des autres, maintenant tu écriras les tiennes, avec des femmes fortes qui ont pas besoin des hommes pour exister. Elles seront body positives à mort avec des poils et des vergetures, non mais et elles auront cinquante ans et elles kifferont leur ménopause. »

Sur ce, je réduis les quarante-cinq tours en miettes en les piétinant et je m’enfuis en courant pour ne pas entendre les vagissements de la petite fille.

 


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