Une
chambre, tapissée de motifs floraux roses et verts. Moquette de couleur non
identifiée, plutôt dans les jaunes. Au centre de la pièce, sur un petit
fauteuil bas en plastique blanc qui colle aux fesses, une petite fille, robe
bleu canard sur sous-pull en acrylique orange est assise. Elle écoute des
disques 45 tours dans un appareil orange également appelé mange-disque et sur
lequel on lit l’inscription « Pepito ». A ses pieds, des pochettes
illustrées de ces 45 tours, on lit des titres
de contes Cendrillon, la Belle au Bois Dormant, la Petite Sirène et
celui qu’elle est en train d’écouter, Le Vilain Petit Canard. La pièce est
envahie par la musique de Tchaïkovski Le Lac des Cygnes, et lorsque je rentre
dans la pièce, elle est en train de pleurer à chaudes larmes.
« Ah,
ben, voilà. Mon Dieu, je supporte pas quand les gosses pleurent. T’en as pas
marre de toujours pleurnicher sur le même passage : quand le Vilain Petit
Canard se transforme en beau cygne, non mais sérieusement ? »
« Vous
êtes qui ? Et comment vous êtes rentrée dans ma chambre ? »
« Je
suis qui ? Ma foi, je suis ta bonne fée, qu’est-ce que tu
crois ? »
« Ma
fée ? »
« Ben
oui, une bonne fée, comme dans les contes quoi . T’en écoutes pas
assez comme ça ? »
« Heu,
excuse-moi mais les fées elles sont pas comme toi. Elles sont blondes, avec des
grands yeux bleus et une robe transparente qui brille, elles sont pas en
jeans. Et puis elles sont jeunes, t’as
l’air vachement vieille, t’as au moins un million d’années. Et puis elle est où
ta baguette ? »
« Sale
petit cafard, tu t’es regardée ? On dirait, un singe avec tes 30 kilos et
ton mètre douze ! T’as toujours les lèvres bleues quand tu vas à la
piscine ? Et puis t’es toujours la chouchoute de la maîtresse le nez dans
tes bouquins, t’as toujours pas d’amis, on te tire toujours les tresses à la
récré ? »
La
petite fille se met à hurler.
« Bon,
allez voilà la sirène des pompiers. Mets-y un bouchon, merde. Tu me casses la
tête. Ça va, j’avoue, je suis pas une fée. Je suis mieux que ça : j’ai un
scoop pour toi. Enfin pour moi. Je suis toi. Et tu es moi. T’es
contente ? »
« Je
suis moi ? J’ai rien compris . Et non je suis pas contente »
« Je
suis toi, dans quarante ans. Je viens du futur. Oui bon, je sais, mais regarde
pas que le physique. La bonne nouvelle c’est que dans quarante ans, tu seras
encore vivante, ça c’est déjà vachement bien. Et puis, je fais le plus beau
métier du monde ! »
« T’es
vulcanologue ? Tu t’es mariée avec Haroun Tazieff ? »
« Heu
non pas vraiment. »
« T’es
pas devenue prof au moins ? »
« Oui,
aussi mais pas que. Je sais on avait dit jamais prof, mais je suis prof de théâtre :
ça jette non ? »
« Heu,
mouais. »
« Et
puis, j’écris mes spectacles. Le premier mettait en scène une version plus
jeune de moi-même, à treize ans, avec les mecs, l’amour tout ça. Mais bon sept
ans, c’est pas mal aussi, on est pas plus heureux dans une cour de récré à sept
ans qu’à treize de toutes façons. »
« Tu
écris ? Moi, aussi j’écris, enfin je commence. Mais on me marque
« sale » sur mes cahiers et je sais pas colorier sans dépasser. Tout
le monde se moque de moi. »
« Bon,
alors là : hyper bonne nouvelle, ça va s’arranger. D’ici trois ans on va
t’offrir une machine à écrire, une Underwood bleue et blanche. Elle marche plus
mais je l’ai encore. Et puis on va t’offrir des tas de carnets avec des
cadenas, des cœurs, je sais moi, des trucs nunuches soi-disant de filles. Et tu
continueras à écrire, tes textes seront dans des disquettes, des clés USB, des
clouds. Et alors, on en aura plus rien à faire des cahiers avec marqué
« sale ». »
« J’ai
rien compris »
« C’est
pas grave. Tu verras plus tard. Je suis devenue autrice, auteure, écrivaine
quoi ! Ha merde, ne dis pas ça à la maîtresse, tu vas te faire
engueuler. »
« Mais
je m’en fous de ça. T’es artiste ou pas ? »
« Oui,
enfin si on veut. J’enseigne le théâtre, tu vas pas tarder à commencer à
prendre des cours d’ailleurs. Tu joueras un schtroumpf, un géant aux
chaussettes rouges et une étoile triste. Bref, oui j’enseigne, j’écris, je mets
en scène mes textes et je joue aussi. »
« Tu
passes à la télé ?»
« Heu,
non. »
« C’est
nul. »
« Ben,
ça s’appelle une vocation, ça vient de vocare, en latin, ça veut dire
appeler. Tiens, tu pourras faire la fayotte avec ça. Et puis c’est pas plus nul
que d’écouter des contes nunuches avec des princes charmants dans tous les
coins. Moi, dans mes histoires, je leur
arrange la gueule au Prince Charmant, à la Belle Princesse et au Grand Cygne
Tout Blanc, t’inquiète qu’ils regrettent pas le détour. Et puis, hop, ça
commence ici l’éducation, ça suffit d’écouter les conneries des autres,
maintenant tu écriras les tiennes, avec des femmes fortes qui ont pas besoin
des hommes pour exister. Elles seront body positives à mort avec des
poils et des vergetures, non mais et elles auront cinquante ans et elles kifferont
leur ménopause. »
Sur
ce, je réduis les quarante-cinq tours en miettes en les piétinant et je
m’enfuis en courant pour ne pas entendre les vagissements de la petite fille.
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