Lorsque j’ai
appris que j’avais un cancer, l’automne dernier, j’ai cherché à tout prix des
remèdes à mon angoisse. La saison s’y prêtait, j’ai appris la nouvelle le 18
novembre, j’ai été opérée une première fois le 4 décembre puis une autre le 16
janvier. Pile poil pour les pumpkin spice latte, les feuilles mortes,
les plaids, les bougies parfumées et les séries doudous. Les danois appellent
cela le hygge, prononcer « houga » je crois, créer une
atmosphère chaleureuse et profiter des belles choses de la vie avec les
personnes que l’on aime. Moi, j’étais dans mon lit, j’ai un matelas à mémoire
de forme, on voit le creux qu’ a laissé mon cul désormais à force d’être
couchée des jours entiers, oui ça c’était à cause de la chimio, diarrhée et
nausée perpétuelle, comme une énorme grippe intestinale, à scroller des
heures sur mon portable. Alors pendant que l’hiver n’en finissait plus au
dehors, moi je cherchais ce qui pouvait me faire du bien et ne plus penser à la
douleur, au cancer et au gigantesque foutoir qu’était devenu ma vie en quelques
mois. Mon bonnet sur la tête, je scrollais encore et encore, ignorant les
messages de soutien qui s’accumulaient, qu’est-ce que je pouvais leur
dire à ces gens? J’ai mal au cœur, j’ai la chiasse, des abcès à la
chatte et je vous déteste tous parce que vous avez une vie et que je n’en ai
plus ? Alors go scroller, gratter Instagram jusqu’à l’os, à la recherche
inconsciente de ce qui pouvait me redonner le goût de vivre ou du
moins de me battre, puisque c’était ça qu’il fallait faire, se battre
contre le cancer mais quelle connerie, je te jure, je n’avais de contrôle sur
rien, ce qu’il me fallait surtout c’était un tube digestif en état de marche
parce c’est un secret qu'on ne te dit pas, si t’as la diarrhée, tu n’es plus
rien, juste une loque qui a juste le temps de se jeter sur les toilettes, si
elles sont pas trop loin. Alors je scrollais furieusement, tout défilait sur Instagram,
les influenceuses cancer qui se rasaient la tête en chialant de grosses larmes
de crocodile, d’autres qui te confiaient leur skin care routine pathétique ou
leurs conseils stylistiques “ alors on va s’habiller ensemble pour aller en
chimio, je vais mettre cette petite chemise couleur moka mousse, c’est la
couleur tendance cet hiver, qui s’ouvre largement pour laisser passer le fil du
cathéter, aux pieds mes birkenstock sabots camel que je vous ai déjà montrées
et que j’ai depuis au moins trois saisons, très pratiques pour l’hôpital je
rajoute ce joli bonnet en toile de bambou special chimio toujours en teinte
moka mousse, ca fait un rappel sympa, pour protéger mon crâne, c’est pas
parce qu' on est chauve qu'on va se laisser aller et sur mes lèvres le Bisou
Balm, aujourd’hui j’ai choisi la teinte Golden Shower.”
J’étais au bord du suicide
ou du fait divers au choix. Un jour, l'algorithme, qui m’avait repéré comme Gen
X, m’a proposé une image du manga « Candy », dont j’étais ultra fan
au primaire . Bizarrement, c’était une image en noir et blanc, on y voyait
Candy, cette héroïne blonde et espiègle à qui j’aurais voulu tellement
ressembler, dans les rues de New York. La neige
tombe et on peut lire “Terry Goodbye”, “This time it’s goodbye for
real Terry”. C’était bizarre,
cette image en noir et blanc, alors que le dessin animé était si coloré. J’ai
alors compris que c'était sans doute extrait du manga original. Je me suis mise
alors à cliquer, à la recherche de ce dessin animé que j’associais au bonheur
de l’enfance, même si mes souvenirs de cour d’école n’étaient pas très heureux.
Au primaire, j’ai été victime de ce qu’ on appelle aujourd’hui du harcèlement,
sauf qu'à l'époque, ça s'appelait juste, tiens si on allait faire chier la
fille avec les tresses qui lit tout le temps et qui est la chouchou de la
maîtresse. J’ai rien à dire, plus tard, j’ai harcelé aussi et j’ai aussi fait
chier des premières de la classe avec des tresses, lorsque j’ai découvert qu’il
suffisait de s'habiller en noir, de mettre des bracelets à clous, de fumer et
de dire des gros mots pour faire peur et qu’on me fiche la paix. Mais en
février 2024, j'étais à la recherche de Candy Neige André, une petite fille,
abandonnée bébé un jour de neige quelque part dans le Michigan. Une petite
fille puis une jeune fille, un brin rebelle et super résiliente face aux
épreuves de la vie : la séparation d’avec sa meilleure amie Annie, une couille
molle de première, les brimades des horribles Elisa et Daniel et de leur
famille de bourgeasses hyper toxiques, la mort de son amoureux Anthony suite à
une chute de cheval (même si Dorothée nous a raconté a posteriori qu’il
était juste blessé, de la merde oui !) et surtout son histoire d’amour
impossible avec le Bad Boy suprême, j’ai nommé Terry Grandchester, le fils
illégitime d’un aristo anglais et d’une comédienne américaine. Je me
demande maintenant avec le recul, comment on peut associer ce genre de séries à
des feel good ou hooga moments, mais on était des Gen X, non ?
Une génération où les adultes étaient remarquablement absents, pas hélicoptères
du tout, et ou à part mes parents, personne ne se souciait de ce qu’on
pouvait regarder à la télé en buvant du Tang ou des saloperies équivalentes.
Mon doigt aimanté par le portable quarante ans plus tard, s’est finalement
arrêté sur Daily Motion où j’ai retrouvé Candy en quasi intégralité. Pour être
honnête j’ai passé sur les épisodes d’enfance, chiants à mourir, la rencontre
avec le Prince de la Colline, chelou limite pédocriminel, les Legrand têtes a
gifles, et Anthony à la virilité douteuse, pour me concentrer sur les épisodes
avec Terry, le Bad Boy qui fume des clopes, joue de l’harmonica et vole des
baisers a Candy à la fin de l’été au bord d’un lac en Ecosse, agression
sexuelle oui je sais, mais bon ça va un jour un mec m’a mis sa bite sur la tête
à une soirée, y a carrément pire pour les Gen X. J’avais quand même dû rater un
max d’épisodes à partir du baiser au bord du lac en Ecosse, parce que de là
s’ensuit tout un bordel ou Candy et Terry passent leur temps à se louper, il
est viré du collège où ils sont élèves en Angleterre, il s'enfuit aux USA, elle
le rate lorsqu’il prend le bateau, elle le rate sur la colline où elle a été
trouvée un jour de neige (et il neige ce jour-là), elle passe son temps à le
rater, surtout qu’entre temps il est devenu star de théâtre (en vrai il joue
comme une quiche, passons). Et lorsqu’ils se retrouvent enfin à New York, une
jeune comédienne folle amoureuse de Terry, perd une jambe en voulant sauver ce
dernier de la chute d'un projecteur. Candy découvre tragiquement la situation
et décide de s'effacer afin que Terry puisse s'occuper de celle qui S’EST
SACRIFIEE (ce que ça peut me saouler cette expression aussi). Les deux jeunes
gens, fous de douleur, se séparent en larmes, tout se promettant d'essayer
d'être heureux. Il y a une fameuse scène dans l’escalier inspirée de « Autant
en emporte le vent », je crois, où Terry saisit Candy par derrière et non
ce n’est pas une agression sexuelle merde à la fin ! et pleure dans ses
cheveux. Et elle part dans le New York enneigé, prend un train en pleurant toutes les larmes
de son corps. Et là, je vous jure, qu'à côté de cette situation affreuse,
prendre un train sous la neige seule, et laisser derrière soi l’homme qu’on
aime de tout son cœur et qu' ON NE REVERRA JAMAIS (et effectivement, elle ne le
reverra pas, le Prince de la Colline, pédocriminel, va revenir, ce bâtard), le
cancer, la peur de mourir, la chimio, la chiasse, la gerbe, les abcès à la
chatte, la boule à Z, tout ça c’est R, c’est du pipi de chat, j’ai pleuré
ma race, quarante après, dans mon lit avec la forme de mon cul, tout ça parce
que Candy Neige partait seule dans la neige et que c’était pas feel good ou
houga du tout et que c’était juste affreusement triste et que oui, j’ai
souffert de ma maladie mais qu’un cœur brisé ça fait vachement, terriblement,
horriblement, plus mal.
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