À la nuit tombée, je finissais de huiler la serrure de la porte donnant sur les remparts sud de la ville. Une fois la fiole dissimulée sous mes vêtements, j’introduisis la clé dans l’orifice avec précaution et la fis tourner sans un bruit. Silencieuses et souples comme des panthères, mes deux compagnes, Aichata et Valina me rejoignirent. Les seins bandés, délivrées de leurs voiles multicolores, la chevelure dissimulée sous un épais bonnet de laine, elles ne laissait rien paraître de leur féminité. Sur un de mes signes, la première s’engouffra dans l’ouverture d’où parvenait une odeur pestilentielle de boyaux en décomposition. Comme je m’apprêtais à franchir le seuil, je sentis une main implacable sur mon épaule, tandis qu’un ordre sec claquait à mes oreilles.
“Arrête, femme.”
La poigne qui me maintenait appartenait au Grand Eunuque, responsable sur sa tête du harem du sultan. Cette serre sur mon cou, me dégoûta au plus profond de moi-même, plus jamais je ne me laisserai emprisonner entre quatre murs. Je me retournai pour faire face . Je vis son visage se figer et se déformer en une grimace atroce. Sa bouche s’ouvrit et laissa jaillir un hoquet puis un flot de sang noir qui éclaboussa mes braies de grosses toiles. Lorsqu’il s’écroula dans le parterre de roses trémières, je sentis une main fraîche sur mon épaule à l’endroit où la serre du Grand Eunuque s’était naguère posée.
“Viens” souffla Valina à mon oreille.
Sans chercher à comprendre, je la suivis. Plus rien ne comptait que son souffle de vie à mon oreille comme un appel d’air pur.
Nous plongeâmes, sans une hésitation, dans le tas d’immondices qui se trouvait derrière la porte. Des carcasses de moutons s’y décomposaient, exsudant une boue rougeâtre qui se mêlait à la paille souillée en un fumier malodorant.
Déjà, des profondeurs du palais, retentissait l’appel à l’hallali. L’impensable s'était produit : des femmes avaient quitté le harem!
Étroitement enlacées dans la fange sanglante, Valina et moi luttions pour ne pas nous y engloutir. Je ne savais pas ce qu'il était advenu d’Aichata, notre compagne. Soudain, un cri atroce de femme frappée à mort, monta de l’épaisseur de la nuit. Pas une seule seconde, je ne pus m’attarder à imaginer la chute du corps sur les marches de marbre, le gargouillis du sang remplissant peu à peu les poumons, et les mains battant faiblement l’air comme des poissons à l’agonie. Seul comptait le souffle précipité de Valina à mon oreille.
Avant l’aube, les cris de la ville avaient cessé de résonner à nos oreilles. Cachées dans une réserve à sel du Mellah, le quartier juif de Meknès, nous attendions que nos complices viennent nous faire signe. Nous partirions et gagnerons le désert une fois la nuit tombée.