dimanche, mars 01, 2015

Julia Jaume Barcelona. M'en vaig.



 Nouveau texte inspiré des personnages de l'Ombre de l'Eunnuque de Jaume Cabré.



Si tu trouves cette lettre, c'est que tu auras comme à ton habitude fouillé mes poches et mes tiroirs. Tu auras sans doute ouvert le tiroir du chiffonnier en ronce de noyer qui contient ma lingerie, soulevé mes culottes en dentelles blanches, celles décorées de 3 perles miniatures au niveau du nombril, constaté qu'il en manquait quelques unes. Peut-être auras-tu poussé le vice jusqu'à inspecter ma boite de tampons hygiéniques, j'en ris à distance, toi qui a toujours méprisé ce que tu appelles avec dégoût « les menstruations. » .


Du chiffonnier tu seras donc passé au miroir à trumeau de type « Berlioz » décoré de motifs en résine moulés. Ce miroir que tu m'accusais d'user chaque matin, on aurai cru entendre mon père : « Julia, arrête de te regarder dans la vitre de l'horloge, dans le pied de la lampe 1930 , dans la louche en argent. » mais MERDE, qu'est ce que pouvait vous faire à toi et à lui ?

Tu l'auras donc trouvée cette fameuse lettre , griffonnée au bic noir sur du papier jauni (il n'y a décidément rien de neuf dans cette baraque ) coincée entre le mur et ce fameux miroir. Et puis tu l'as sans doute deviné maintenant, je te quitte. Bien sûr, j'aurais pu te donner des explications ce mati mais j'ai préféré partir sans discussion. Tu m'aurais sans doute à nouveau reproché mes réponses laconiques, mon incapacité à me concentrer sur une vraie relation, mon mutisme. Aujourd'hui c'est fini. Je vous ai tous supportés mon père, toi, les curés, avec vos diktats et vos impostures. C'est terminé.

C'est hier soir que j'ai compris. Dans ce restaurant minable où ta légendaire pingrerie nous a fait échouer, enfoncés dans cette taule du Bario Gotico, où tout était déprimant, du papier tue mouche descendant en zigzag du plafond, jusqu'aux motifs a carreaux des nappes trouées par les cigarettes. L'odeur du graillon se mêlait aux effluves de ninas.
Je t'ai regardé étudier la carte dans ses moindres détails, tu as longuement hésité à commander une bouteille de mauvais vino tinto qui râpait la langue. J'ai eu le sentiment très net d'être épiée, sans doute redoutais-tu que je demande le plat le plus cher. Tu m'as d'ailleurs fait remarquer qu'une media racion de boles de picolat suffisait largement. Je me concentrais sur les taches de café du menu pour ne pas voir tes dents jaunies par le tabac, ta peau grise et tes cheveux gras.

C'est à ce moment là que j'ai su que je ne pouvais pas continuer. Tes déprimes à répétition, ce spleen que tu traînes à longueur d'année, sans qu'on en connaisse le pourquoi du comment, je ne le supporte plus . Tes airs prétentieux m'indisposent aussi lorsque tu prends tes poses de vierge effarouchée pour me traiter de sale gosse gâtée et embourgeoisée.

Je suis donc partie ce matin, tu ronflais encore. Tu as juste bredouillé de remonter des Ducados pendant que je zippais ma robe de laine noire devant la psyché  et fardais mes lèvres de Rouge Baiser.

Sans doute es-tu en train de regretter tout ce temps perdu mais il est bien trop tard. Lorsque tu liras cette lettre, je serai déjà loin.



Julia.

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