Elle aussi, elle écrit. Elle écrit de chez les vieilles pour les vieilles et les moins vieilles, pour les MILFS, les Jennifer Coolidge qui n’ont pas de Golden Globes, enfin si mais pas les mêmes, celles qui ont des bouffées de chaleur et envie de baiser quand même, celles qui n’ont plus leurs règles ou plus d'utérus ou plus d’ovaires, de toutes façons à leur âge c’est pas grave mais qui se font quand même taguer sur les sites pornos #blonde #lunettes #grosseins #coquine.
Elle écrit de chez les femmes dont Yann Moix ne veut pas, ni Jean Luc Lahaye. DiCaprio et Brad Pitt c’est plus chiant, mais bon on survit. Elle écrit de chez les pas fraîches, de celles qui sont dans ton lit mais qui n’ont plus vingt ans depuis longtemps.
Elle écrit de chez celles qui paniquent devant l’horloge biologique, de chez celles que la trouille réveille, le soir entre leurs draps roses trempés de sueur.
Elle écrit parce qu’elle ne veut pas mourir, pas encore, pas tout de suite.
Elle écrit pour dire que elle aussi, elle a le droit de dire non quelquefois. Parce qu’elle les a dans son lit, ou elle les a eu, ou elle les aura, les petits copains des autres, ceux qui ne la draguent que sur Tinder et surtout pas dans la vraie vie. Oh, elle peut rester longtemps dans un bar, la nuit, au comptoir, décolleté, jupe de cuir et talons, elle sera bien tranquille, personne ne viendra, elle peut écrire “Guerre et Paix” sur son téléphone, personne n’en aura rien à foutre, elle se fera peut-être draguer par le serveur dans l’espoir d’un pourboire mais c’est tout. C’est quand elle rentre chez elle que sa vie commence, que son portable commence à vibrer au son cristallin de toutes ses notifications colorées. C’est la nuit que remuent des flots de messages sur fond bleu marine ou vert émeraude éclairés par la lueur laiteuse d’un écran qui rougit les yeux.
C’est là qu’elle prend vie, c’est là que son pouvoir refait surface, pas qu’elle l’ait souvent eu le pouvoir, mais là, elle a l’impression de prendre les choses en main, quand le type a la vingtaine, un physique d’acteur prometteur, les yeux verts comme le feuillage d’un platane un soir d’été et la peau polie comme du bronze . Elle n’a jamais été foutu de faire attendre qui que ce soit, trop peur de lâcher la proie pour l’ombre, car oui, c’est une proie, ce petit minet friand de bonnes MILFS comme il disent et elle se voit en chasseresse, en Grande Mère, en Kali mangeuse d’Indiana Jones, ce genre de conneries qu’on se raconte alors qu’on va tout bonnement passer à la casserole et s’allonger bien docilement, comme on le fait depuis plus de trente ans, sans se demander si on en a VRAIMENT envie. Elle a découvert la zone grise en 2017 comme tout le monde, elle a repensé à son dépucelage à l’âge de seize ans et demi, un vrai carnage, une douleur pas possible, sans capote bien sûr et elle a vite mis le mot de zone grise dessus pour pas en mettre un autre parce qu’elle a pas dit non et qu’après non plus, elle a pas dit non. Jamais personne ne disait non au temps béni des colonies, du moment que le type était là, la main dans ta culotte, tu disais pas non, c’était toi qui l’avait laissé aller trop loin, c’était ta faute, donc ferme les yeux et pense à autre chose, comme ta mère et ta grand-mère et toutes les femmes auparavant jusqu’à la première qui s’est fait prendre en levrette par surprise au bord d’une rivière, ca lui apprendra a se balader le cul à l’air.
Quand elle ouvre au beau jeune homme au physique d’acteur prometteur à 1h du matin, elle n’est pas agneau terrifié mais femme puissante, géante aux pieds d’hématite, qui broie les hommes entre ses cuisses de déesse et les dévore tout crus. Elle est en plein empowerment, elle prend le contrôle enfin, elle a crevé le plafond de verre dans le secret de son alcôve, le pouvoir est là, à portée de main, sous la forme de la bite d’un mec qui a la vingtaine.
Le problème c’est le gag reflex, cette incontrôlable envie de gerber. Elle vient surtout quand on prend ta tête en te tirant bien les cheveux et qu’on enfonce un objet contondant, en l'occurrence une queue bien raide jusqu’aux cordes vocales en te disant “Suce !”. Et tout en essayant de te dégager mais bien sûr c’est pas facile, on peut dire ce qu’on veut sur l'empowerment y a un moment où malheureusement c’est pas suffisant, tu te traites de tous les noms. Tu ne lui en veux pas a lui non, pas à celui qui est en train de te violer, parce que même si tu n’as pas eu le temps de dire non et que par la force des choses là, tu ne peux plus, tu es loin d’être consentante, non, tu t’en veux à toi, parce que tu lui as dit de venir, tu lui as ouvert la porte et tu as joué le jeu, dentelle, jupe de cuir, talons haut et que t’as cinquante ans mais que t’as pas retenu la leçon, t’as pas écouté ta maman, t’as fait entrer le loup dans la bergerie et que c’est bien fait pour ta gueule. Tu l’as fait venir parce qu’il est beau, jeune et prometteur et qu’il te donne l’importance que la société te refuse et t’a toujours refusé. Et puis de toutes façons, qui te croira ? Estime-toi heureuse qu’il s’intéresse à toi, tant pis pour les cordes vocales, un peu de miel et ca ira. On te jugera, on te haïra, pire que Madonna dans ses vidéos Tik Tok, ferme ta gueule vieille peau, sorcière, on va te foutre au feu comme un vieux fagot avec ta peau sèche comme un croco, tu vas flamber tout de suite.
Alors c’est ce qu’elle a fait. Elle a bien fermé sa gueule et laissé d’autres l’ouvrir à sa place. Mais aujourd’hui c’est fini, aujourd’hui elle écrit, elle aussi.