Atelier d'écriture, dernier texte en date. Consigne "décrire un choc culturel." Z'allez pas être déçus.
Le journal d'Henriette.
Lundi 3 Septembre :
Cher Journal,
Pour ma première journée, je ne pouvais pas faire mieux! Conformément à l'avis de Maman, je me suis efforcée de ne pas trop me faire remarquer, j'ai mis mon tailleur rose-pâle dont j'ai fermé la veste autant que possible et mes mocassins beiges. Évidemment, je cherchais à faire plus vieux que mon âge mais çà n'a pas marché. Lorsque je suis entrée dans son bureau, le principal m'a dit « Vous avez déjà enseigné dans ce type d'établissement? »
Je lui ai répondu que non bien sûr, en me retenant le lui faire remarquer que si j'avais atterri ici, c'était bien parce que je n'avais jamais enseigné nulle part, ni dans ce type d'établissement, ni ailleurs. Il a ajouté : « C'est dur ici vous savez! » et puis il m'a présentée à son adjointe qui a jugé mon attitude avec sévérité avant de m'accompagner sur les rangs.
Là, quelle ne fut pas ma surprise, cher Journal, de voir des élèves sans cartable, la chemise ouverte sur des poitrails imberbes et le carnet de correspondance coincé dans le jean! L'adjointe avait l'air un brin compatissante en me disant « Voilà, je vous les laisse! »
Cher Journal, Maman m'avait bien dit de faire profil bas sur les rangs et d'attendre d'être dans ma classe pour faire de la discipline mais du groupe fusaient des « 95D » dont je ne savais quoi penser. Je me suis demandée quelle marque de portable cela pouvait bien désigner et puis j'ai vite renoncé car il fallait les faire entrer en classe.
Une fois la porte fermée, je les fis asseoir tant bien que mal. Je remarquai que contrairement à ceux qui portaient la chemise bien ouverte; d'autres ne quittaient pas leurs doudounes qui me paraissaient un peu chaudes pour un mois de septembre.
Je commençai à faire l'appel en écorchant les noms pour finalement ne me concentrer sur les prénoms qui souvent différaient de ceux inscrits sur la liste. Quelquefois, lorsqu'un élève manquait, un cri « Il est au bled! » jaillissait du fond de la classe.
Puis, je commençai mon cours, lorsqu'un adolescent m'interpella en me demandant comment on disait « La touffe » en anglais et je lui répondis « Shaggy hair », ce qui déclencha l'hilarité générale. C'est vrai que j'aurais du me faire un chignon, mais les épingles me rentrent dans le cuir chevelu, je ne les supporte pas.
Enfin, le cours se passa tant bien que mal, je crois, malgré tout, avoir réussi à nouer le contact, cher Journal et je suis heureuse de pouvoir me confronter à ma véritable mission!
Jeudi 15 Septembre
Aujourd'hui, çà s'est assez mal passé. J'ai d'abord remarqué que les sixièmes passent leur temps en classe à grignoter des graines de tournesol appelées « pépites » qu'ils crachent ensuite sur le sol. Je n'ai rien osé dire et suis allée chercher le balai à la récréation afin de nettoyer.
Un de mes élèves m'inquiète, il voit des aliens partout, passe son temps à leur tirer dessus (sur les aliens) et parle seul. J'ai décide de l'isoler. D'autres sont venus me dire qu'un de leur camarade s'amusait à faire des grimaces dans mon dos . Je l'ai pris à part à la fin du cours afin de le sermonner et de lui montrer que son attitude nuisait à toute la classe. Il m'a bien promis de ne plus recommencer.
Tout est allé assez bien jusqu'à 16h où une élève m'a dit d'aller, je n'ose le répéter mais à toi, je peux le confier, « niquer mes morts. » Je me suis confiée au CPE, qui m'a bien expliqué qu'il ne fallait pas prendre cela personnellement mais plutôt comme l'expression de la violence connue à la maison. Je suis heureuse qu'il m'ait ainsi conseillée cher Journal. Lui-même est plein d'abnégation, les élèves l'appellent régulièrement «Maricon! »1 et il trouve que c'est bon signe qu'ils utilisent leur langue maternelle pour communiquer. Il me dit de privilégier le dialogue, c'est ce que je m'efforce de faire...
Mardi 13 octobre
Je tiens encore cher Journal mais je ne te cache pas que c'est très dur. Aujourd'hui Fabrice a attaqué Emilie, croyant avoir à faire à une alien. Il lui enfoncé la pommette. La mère est venue furieuse me demander des comptes, je pense qu'elle va porter plainte, je l'espère pas contre moi. Les quatrièmes ont profité d'un moment d'inattention (j'étais dans la salle attenante en espérant trouver un appareil de télévision en état de marche) pour faire un ring avec des tables afin que deux d'entre eux puissent se battre.
Que faire? Je discute encore et toujours mais je me sens impuissante.
Novembre (jour illisible)
Encore un jour dans ce bahut de merde et je flingue tout le monde. Ces petits cons m'ont balancé un clou dans le tableau et m'ont bombardée de prunes pas mûres à la sortie. Cette grande trompette2 de CPE m'a fait son sermon en bois, s'il ouvre encore la bouche, je l'encadre!
DATE INCONNUE
Bordel, çà a saigné aujourd'hui!
J'ai viré un élève avec sa table et sa chaise, vidé des sacs par les fenêtres, claqué des portes dans la figure, distribué des steaks3 aux sixièmes mangeurs de pépites et pendu Mehdi-la-grimace au porte-manteau!
J'ai prévenu que si j'en entendais encore un dire « Je bouffe la chatte A ta mère » au lieu de « DE ta mère », je lui faisais manger son extrait de naissance.
Je suis à bout, cher Journal. Je suis capable de commettre un meurtre, au bord du fait divers. N'ai pas changé de jean depuis quinze jours et mes baskets, (mes « crêpes »4, comme ils disent) commencent à renifler sévère. Ce n'est pas grave, ils ne m'auront pas. Je résisterai et Maman sera fière de moi.