Nouveau texte inspiré des personnages de l'Ombre de l'Eunnuque de Jaume Cabré.
Si tu trouves cette lettre, c'est que
tu auras comme à ton habitude fouillé mes poches et mes tiroirs. Tu
auras sans doute ouvert le tiroir du chiffonnier en ronce de noyer
qui contient ma lingerie, soulevé mes culottes en dentelles
blanches, celles décorées de 3 perles miniatures au niveau du
nombril, constaté qu'il en manquait quelques unes. Peut-être
auras-tu poussé le vice jusqu'à inspecter ma boite de tampons
hygiéniques, j'en ris à distance, toi qui a toujours méprisé ce
que tu appelles avec dégoût « les menstruations. » .
Du chiffonnier tu seras donc passé au
miroir à trumeau de type « Berlioz » décoré de motifs
en résine moulés. Ce miroir que tu m'accusais d'user chaque matin,
on aurai cru entendre mon père : « Julia, arrête de te
regarder dans la vitre de l'horloge, dans le pied de la lampe 1930 ,
dans la louche en argent. » mais MERDE, qu'est ce que pouvait
vous faire à toi et à lui ?
Tu l'auras donc trouvée cette fameuse
lettre , griffonnée au bic noir sur du papier jauni (il n'y a
décidément rien de neuf dans cette baraque ) coincée entre
le mur et ce fameux miroir. Et puis tu l'as sans doute deviné
maintenant, je te quitte. Bien sûr, j'aurais pu te donner des
explications ce mati mais j'ai préféré partir sans discussion. Tu
m'aurais sans doute à nouveau reproché mes réponses laconiques,
mon incapacité à me concentrer sur une vraie relation, mon
mutisme. Aujourd'hui c'est fini. Je vous ai tous supportés mon
père, toi, les curés, avec vos diktats et vos impostures. C'est
terminé.
C'est hier soir que j'ai compris. Dans
ce restaurant minable où ta légendaire pingrerie nous a fait
échouer, enfoncés dans cette taule du Bario Gotico, où tout était
déprimant, du papier tue mouche descendant en zigzag du plafond,
jusqu'aux motifs a carreaux des nappes trouées par les cigarettes.
L'odeur du graillon se mêlait aux effluves de ninas.
Je t'ai regardé étudier la carte
dans ses moindres détails, tu as longuement hésité à commander
une bouteille de mauvais vino tinto qui râpait la langue.
J'ai eu le sentiment très net d'être épiée, sans doute
redoutais-tu que je demande le plat le plus cher. Tu m'as d'ailleurs
fait remarquer qu'une media racion de boles de picolat suffisait
largement. Je me concentrais sur les taches de café du menu pour ne
pas voir tes dents jaunies par le tabac, ta peau grise et tes cheveux
gras.
C'est à ce moment là que j'ai su que
je ne pouvais pas continuer. Tes déprimes à répétition, ce spleen
que tu traînes à longueur d'année, sans qu'on en connaisse le
pourquoi du comment, je ne le supporte plus . Tes airs
prétentieux m'indisposent aussi lorsque tu prends tes poses de vierge
effarouchée pour me traiter de sale gosse gâtée et embourgeoisée.
Je suis donc partie ce matin, tu
ronflais encore. Tu as juste bredouillé de remonter des Ducados
pendant que je zippais ma robe de laine noire devant la psyché et
fardais mes lèvres de Rouge Baiser.
Sans doute es-tu en train de regretter
tout ce temps perdu mais il est bien trop tard. Lorsque tu liras
cette lettre, je serai déjà loin.
Julia.
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